Storyboard, n.m. : Découpage d'un scénario d'un film ou d'une série dans lequel chaque scène est illustré plan par plan. Le résultat est proche d'une bande-dessinée.
« A la semaine prochaine prof ! »
J'adresse rapidement un geste de la main à mon dernier élève avant de venir m'effondrer sur l'une des chaises de l'atelier. Mes élèves m'ont épuisé.
Non, en réalité, je suis un peu vache avec eux. Mais le déménagement de l'atelier dans ce nouveau bâtiment, la mise en place de la salle de cours et la reprise direct des cours de dessin que je donne, le tout sans un seul jour de repos font que je suis éreinté. Et ce n'est même pas fini puisque dans moins d'une demi-heure j'ai un nouveau cours à donner. Mais pour le coup, ça devrait aller, mon prochain cours n'est pas un cours de dessin classique puisqu'il est réservé à la bande-dessinée et autant dire que ça, c'est vraiment mon domaine. Enfin ... c'est mon objectif en tout cas.
J'entends du bruit en face et regarde ma montre. Bon sang de bois, il est déjà l'heure. Je dois aller accueillir mes élèves et résister au sommeil que je commence à vraiment ressentir. J'espère qu'ils ne me feront pas tourner en bourrique, je ne pense pas pouvoir être très clément avec eux.
Ils ne sont que cinq aujourd'hui. Le temps passe lentement mais ils sont concentrés et silencieux, à part pour poser quelques questions qui sont, ma foi, assez pertinentes. Et je dois avouer, ça fait du bien de travailler dans cette atmosphère. Je sens que j'enseigne à des personnes qui aiment la bande-dessinée et qui ne sont pas là simplement parce qu'ils ont vu de la lumière. J'arrive même à leur parler rapidement de storyboard. Une première. Si je n'étais pas aussi fatiguée, j'aurais sabré le champagne à la fin du cours.
Mais finalement le cours se termine et je ne perds même pas une seconde avant de monter à l'étage pour m'écrouler sur le canapé convertible que j'y ai installé lorsque j'ai commencé à louer l'atelier. J'ai réservé l'étage pour mon travail personnel mais je pense que l'installation d'une douche et d'un canapé lit restent les meilleures idées que j'ai pu avoir. Et lorsque je sombre de sommeil, je n'en doute même plus.
Je me réveille complètement perdu. Je pense qu'il va me falloir un petit moment pour m'y faire. Enfin, en même temps, j'espère ne pas avoir à faire beaucoup de sieste ici. Je préfèrerais quand même dormir dans mon lit, mais soit, aujourd'hui je n'avais vraiment pas le choix. Surtout qu'il est maintenant l'heure de m'installer à mon bureau et de travailler.
Je suis professeur free-lance de dessin mais en réalité, mon but a toujours été d'être auteur de bande-dessinée. Mais je bloque. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle j'ai déménagé mon atelier. Avant ça, tout se passait chez moi mais je n'arrivais même plus à distinguer le travail du reste. Maintenant, j'ai un appartement à quelques rues d'ici et un atelier où je peux dispenser des cours au rez-de-chaussée et travailler sur mon projet à l'étage. Le reste ne dépend que de moi.
Et c'est là que ça bloque.
Rien ne me vient pour le moment. Le blanc complet. Pourtant j'ai une trame de départ, une idée principale assez travaillée. Mais c'est comme si quelque chose au fond de moi était totalement réfractaire. Je pense que je n'ai plus le choix. Je vais devoir revenir à zéro et trouver autre chose. Et ce projet va très gentiment aller dans le tiroir des « Maybe one day » pour un délai indéterminé.
Je dois donc revenir à la base. Très bien. Mais sincèrement, si les idées arrivaient aussi facilement qu'une envie de pisser, ça se saurait. Et j'aurais déjà produit des BD à la pelle. Sauf que dans la vraie vie, c'est loin d'être comme ça et je me retrouve à sortir mon meilleur ami. Le tableau blanc, spécial Brainstorming. A défaut d'avoir des amis ou des collègues avec qui papoter et potasser le sujet, je sais la loyauté de mon cher tableau infaillible. Pas une seule fois il ne m'a laissé tomber et j'espère qu'aujourd'hui ne sera pas une première.
Et bien sûr, j'ai parlé trop vite.
Rien. Ça fait une demi-heure que je regarde ce fichu tableau et RIEN. Même pas l'ombre d'une idée. Pourtant, le tableau n'est plus blanc, j'y ai gribouillé pas mal de choses, mais rien de bien probant et encore moins quelque chose d'exploitable.
Je pourrais bien sûr faire appel à un auteur, un scénariste qui pourrait écrire l'histoire tandis que je n'aurais plus qu'à l'illustrer, mais ce serait à l'encontre de mon rêve. Celui de créer ma bande-dessinée de A à Z, scénario ET illustrations. Alors je n'ai plus qu'une solution ... continuer à bûcher.
Je finis par tourner en rond dans la pièce. Et la pièce est grande.
Finalement, je m'installe sur une des chaises que j'ai installé près de la fenêtre. J'avoue que j'en ai placées un peu partout dans tout l'atelier pour voir à quels endroits j'ai le plus d'inspiration. C'est totalement idiot et encore plus quand on sait qu'il y en a deux au sous-sol et une dans les sanitaires. Puis surtout ça prend de la place. Mais quand je suis arrivée ici, j'ai trouvé ça logique et même nécessaire. Reste à voir quelles chaises vont bientôt pouvoir être enlevées. Je mise plutôt sur celles du sous-sol. Les histoires d'horreur ... pas vraiment mon truc.
Je suis donc assis près de la fenêtre et ... ben zut ! Je m'attendais pas à ce que mes voisins soient aussi près ! Il y a, genre, une dizaine de mètres grand max entre ma fenêtre et une des leurs. Par contre, je suis totalement jaloux, leur jardin est immense. J'ai vite fait ouvert la fenêtre pour mieux le voir mais il fait un froid à se congeler les cheveux alors je referme vite. C'est pas aujourd'hui qu'on va laisser tout ouvert pour faire une grande aération de l'atelier.
Dommage, le ciel est plutôt beau et le soleil commence à se coucher juste derrière le bâtiment. Ça c'est une bonne chose à savoir ! Il doit donc se lever le matin ... pile dans l'alignement du velux. Génial ! Je crois que je vais bouger une des chaises pour la mettre juste en dessous. Le seul problème sera de réussir à venir assez tôt pour voir le lever du soleil.
Mais pour l'instant, je dois pas m'en préoccuper. Je dois trouver une idée ! Et vite si je veux pouvoir me mettre au travail et enfin produire quelque chose de potable ... ou du moins d'exploitable.
Je me retrouve donc à regarder à nouveau par la fenêtre. Peut-être que je peux imaginer ce qu'il se passe dans ce bâtiment ? Ça peut être un bon début.
Alors, par où commencer ?
Vu la taille de la bâtisse et du jardin, je pense qu'une famille y vit. Il doit y avoir deux parents ... un couple hétéro ou homoparental j'en sais rien. Une famille recomposée, avec ... trois enfants peut-être. Deux filles et un garçon. L'un d'entre eux est plutôt rebelle et a du mal à accepter cette nouvelle union. Mais le beau parent fait tout pour améliorer les relations. En plus il doit super bien s'entendre avec les autres enfants qui sont peut-être plus vieux que le troisième. Ouais, j'imagine bien. En plus, il doit être du genre à râler pour un rien et emménager à côté d'une église qui sonne toutes les heures, ça doit tellement le saouler. C'est dommage, elle est jolie cette église. Enfin, de ce que j'en ai vu.
Bon, après ... les deux autres enfants ... il doit y avoir un lycéen, filière littéraire, qui adore les grands classiques et passe son temps à réciter du Zola. Ça a tendance à un peu énerver ses frères et/ou sœurs qui n'en peuvent plus de son côté « j'apporte la bonne parole, écoutez-moi sombres idiots ». Et le dernier ... ça doit être un artiste. Peut-être un musicien. Il joue ... du saxophone et du ukulélé. Ce serait original au moins. Puis avec un peu de chance, il est doué comme ça en été je pourrais l'écouter jouer. Mais du coup, il faudrait que sa chambre se trouve juste ...
Oh bon sang de bon soir de ... crotte. Ou comme le dirait un grand doc ... Nom de Zeus.
Il y a un canon à la fenêtre en face.
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Nom de Dieu ...
RomanceIl y a certaines choses dans la vie qui ne l'ont pas surpris. Il savait qu'il serait un artiste. Qu'il dessinerait et peindrait toutes les choses qu'il trouverait belles. Il savait que sa famille aurait des problèmes avec son homosexualité, en plus...