05. Presbytère

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Presbytère, n.m. : Lieu d'habitation du curé ou du pasteur dans une paroisse.


« Peintre ? » m'écrit-il.

« Botticelli. Toi ? »

« Van Gogh. Saison ? »

« Automne. Toi ? »

« Printemps. Fruit ? »

« Framboise. Toi ? »

« Orange. »

« Personne préférée ? » je demande finalement.

« Toi. »

Je baille pour la centième fois au moins depuis mon réveil catastrophique. Je n'aurais pas dû céder hier soir et venir à l'atelier pour discuter avec Jonas. Résultat des courses, je me suis réveillé en retard ce matin et n'ai pas eu le temps de prendre de petit déjeuner. Puis, je dois avouer, depuis qu'on a commencé à parler ensemble Jonas et moi, soit depuis quasiment une semaine, mes nuits se font moins paisibles. Je passe mon temps à me repasser nos discussions en boucle dans mes rêves, au mot près à la différence que chacun d'entre eux se termine de la même manière.

Je lui demande qui est sa personne préférée et il me dit que c'est moi. Le problème, c'est que cette scène n'est jamais arrivée. Mon subconscient l'invente de toute pièce et je ne sais plus vraiment quoi faire. A chaque fois, je me réveille affolé alors qu'il n'y a pas de quoi en faire un fromage. Je me suis fait un nouvel ami, très intéressant et puis voilà.

A qui est-ce que j'essaye de mentir comme ça ? Moi-même je ne peux pas le nier. Jonas me plait. Enormément. Il est atypique. Une personne comme je n'en avais jamais rencontrée jusqu'à maintenant. Et il a tout pour plaire. Il est beau, il a bon goût, il est jovial, il est poétique dans sa manière de penser et gracieux dans sa manière de faire. Pour un artiste comme moi, il ne peut être que captivant. Et bien trop attirant.

Moi, je ne dois sûrement pas lui plaire. Mais je peux peut-être essayer d'user de mes charmes toujours inconnus.

Je ne peux pas m'empêcher de soupirer. Je regarde le nuage de froid que forme mon souffle alors que j'enfonce plus profondément mes mains dans mes poches. Ça a un côté apaisant qui me permet de calmer un peu mes pensées.

Une autre chose apaisante arrive. C'est ce vieux monsieur et son chien que je croise tous les matins sur le pont. Ils sont là tous les jours à la même heure. Ils s'arrêtent sur le pont puis lorsque le train arrive, celui de 8h36, le vieil homme attrape son chien, le porte et ensemble, ils regardent le train passer. Puis il le repose et ils s'en vont.

Tous les jours, je me demande ce que regardent cet homme et son chien. Alors je me plais à imaginer l'histoire d'un amour perdu. Un amour qui devait être dans ce train et que ce vieux monsieur et son chien attendent sans relâche. Un jour, je dessinerai leur histoire. Au moins pour ne jamais l'oublier.

Je ne suis plus très loin de l'atelier quand mon ventre se fait entendre. Louper le petit déjeuner ne me va pas alors, une fois arrivée au petit carrefour, je ne prends pas la rue de droite, celle qui mène le plus rapidement à mon atelier. Pour la première fois depuis que j'ai emménagé mon atelier ici, j'emprunte la rue de gauche en direction de la boulangerie en espérant qu'ils aient quelque chose d'appétissant en réserve.

C'est une petite boulangerie vraiment sympathique. Pas très grande mais chaleureuse. L'odeur du pain frais m'attaque de plein fouet dès que j'ouvre la porte et tout ce que je vois me donne envie. Je me laisse tenter par une viennoiserie et finis par prendre de quoi manger ce midi. Avec toute cette précipitation, ce matin, j'ai totalement oublié de prendre mon déjeuner. Je repars donc avec un sac rempli de nourriture et le porte-monnaie qui a moins diminué que je ne l'aurais pensé.

Je sors de la boulangerie et observe autour de moi. Je suis à quelques pas de l'église de ma commune. Je n'étais encore jamais passé devant elle, mais elle est vraiment magnifique. Lorsque le temps sera plus clément, je viendrai sûrement m'installer devant elle pour la dessiner. La région regorge de vieilles bâtisses, surtout religieuses, et je me suis pris de passion pour leurs architectures variées.

Je continue de marcher lorsque je remarque que je vais passer devant la maison de Jonas. Il ne doit pas être là à cette heure-ci. Soit il est au travail, soit il est parti en cours. C'est vrai que malgré nos discussions, je n'ai jamais osé lui demander ce qu'il faisait dans la vie. Lui non plus après tout ne me l'a pas demandé. En tout cas, j'ai hâte de voir à quoi ressemble la façade avant de sa maison.

J'aperçois déjà le petit grillage en fer forgé et les buissons dépourvus de feuilles qui le longent. Il y a un petit jardinet entre le portail et la porte d'entrée. D'ailleurs, il y a un écriteau sur ce portail. Peut-être qu'il contient son nom de famille.

J'imagine un nom hispanique, comme le sont ses origines. A part si sa mère est hispanique et qu'il a pris le nom de son père. Ou l'inverse ! Peut-être qu'il est en mauvais terme avec son père et qu'il a décidé de prendre le nom de sa mère. Dans tous les cas, son nom de famille peut donc être tout et n'importe quoi. J'espère juste qu'il a une consonance poétique pour aller avec ce qu'il dégage. J'ai hâte de le découvrir et lorsque je ne suis plus qu'à quelques pas de la réponse, j'allonge un peu mes foulées.

« PRESBYTERE »

Voilà ce qui est écrit sur l'écriteau. Je ne sais absolument pas ce qu'il signifie mais je suis en tout cas persuadé que ce n'est en aucun cas le patronyme ou matronyme de mon cher voisin.

Lorsque je rentre dans mon atelier, je me fais directement couler un café. Je vais avoir besoin de force pour aujourd'hui. En attendant, j'en profite pour aller sur internet et chercher ce que signifie le mot presbytère. Et pour une raison que j'ignore, j'ai un mauvais pressentiment. Quand je vois le résultat de ma recherche, je comprends que je suis dans de beaux draps.

Lieu d'habitation d'un prêtre ? Genre ... prêtre dans le sens religieux ? Je vérifie malgré tout. Peut-être que j'ai mal compris ou alors qu'on ne parle pas de la même chose internet et moi. Malheureusement, pour cette fois, nous sommes sur la même longueur d'onde.

Le jour où je m'avoue réellement mon attirance pour Jonas, je découvre qu'il serait en réalité ... dans les ordres ? Existe-t-il situation plus comique pour un homme gay que de tomber sous le charme d'un religieux ? je ne pense pas. Pour le coup, mon histoire mériterait sa propre bande-dessinée. « Comment la religion a tué ma libido ! »

Qu'est-ce que je raconte ...

Peut-être qu'il y a quand même une chance ! Après tout, la religion n'est pas aussi fermée que ça. Le monde évolue quel que soit le domaine en question. Puis ... il est jeune pour être prêtre ... je fais peut-être fausse route.

Je regarde rapidement l'heure. Il me reste au moins un quart d'heure avant que mon premier cours ne commence. J'ai encore le temps de faire quelques recherches.

Tout d'abord, l'âge.

Déjà, là, c'est une mauvaise nouvelle pour moi. Les plus jeunes prêtres de France sont dans la vingtaine. Vingt-six ans pour le plus jeune ? Je ne sais même pas quel âge exactement a Jonas. Je ne peux pas me rassurer par rapport à ça.

Je lis rapidement un site internet, tenu par des prêtres, expliquant comment devenir prêtre, quand mon attention est attirée par un paragraphe qui cette fois, détruit le moindre espoir que j'aurais pu avoir.

Ce paragraphe mentionne un document du Vatican de 2005 qui interdit au sein du Séminaire permettant de devenir prêtre ou des Ordres sacrés eux même toutes personnes pratiquant l'homosexualité ou qui soutient ... la culture gay ? C'est ... révoltant je trouve. Enfin, je dis sûrement ça parce que le moindre espoir que je pouvais avoir de séduire Jonas vient de s'envoler. Voire d'exploser en mille morceaux.

Je commence à craindre de voir Jonas à sa fenêtre.

Nom de Dieu ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant