19. Tintinnabuler

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Tintinnabuler, verbe : Produire un son léger aux harmonies aigües et cristallines. Sonner avec un timbre de clochettes, de grelots.


Je commence à devenir fou. Je me sens oppressé de tous les côtés et je ne peux en vouloir qu'à moi-même. Depuis ma crise, six jours sont passés. Six jours que j'ai passé pratiquement enfermé dans mon atelier. Je ne suis retourné chez moi que deux fois depuis cet incident au marché. La première fois pour passer le week-end loin de Jonas et penser à autre chose. La deuxième fois pour aller chercher quelques affaires de rechange supplémentaires. J'ai fait en sorte de faire ces aller-retours lorsque j'étais sûr de ne pas le croiser. J'ai d'ailleurs bouché la vue de mon poste d'observation à l'aide de mon grand tableau blanc. J'ai failli le retirer plusieurs fois et succomber à la tentation de voir si je l'apercevais. Mais j'ai résisté. Parce que la douleur est plus forte que la tentation. Pour le moment.

Mais là, je commence à étouffer. Il faut que je sorte. Je n'arrive à rien dans ces conditions. J'ai besoin de m'aérer l'esprit au moins cinq minutes. Alors je décide de sortir un peu. Par précaution, je regarde l'heure qu'il est. 9 heures et demie. A cette heure-là, Jonas est en cours. Je ne devrais pas le croiser.

Je prends un sac dans lequel j'enfourne un bloc à dessin et de quoi crayonner avant de m'habiller et de sortir de l'atelier.

Un courant d'air frais s'infiltre sous mes vêtements. J'ai l'impression de revivre. Au moins physiquement. Mentalement, ça reste l'enfer. Mais le vent printanier me fait du bien. Je ferme les yeux. Le soleil caresse mon visage comme il ne l'avait plus fait depuis plusieurs jours. Je commence à revivre. J'entends même des voix, comme un chant angélique, comme si des cloches tintinnabulaient. Peut-être que je suis mort en fait et que là je me dirige vers le Paradis.

J'ouvre les yeux et non, je suis bel et bien vivant. Et j'entends bel et bien un chant tout près de moi. Je me tourne un peu et comprend que le son vient de l'église. Une chorale. Je n'en avais jamais entendu d'aussi belle en vrai. On dirait qu'ils appellent les anges à venir célébrer quelque chose avec eux.

C'est beau.

C'est même envoûtant. Et plus encore. C'est inspirant.

Par contre, je ne me vois pas rentrer dans l'église. Je ne me sentirais pas à l'aise. Je ne serais pas à ma place là-bas. Il faut que je trouve autre chose du coup. Mais vu que j'entends le chant d'ici, je peux peut-être trouver un coin tranquille pour m'installer, écouter et dessiner. C'est un bon compromis je trouve. Alors je me mets en marche et cherche un endroit où m'assoir.

Tout un côté de l'église est en rénovation, c'est donc fichu pour ce côté-là. Par contre, l'arrière de l'église est disponible. Il y a même une zone d'herbe plutôt discrète dans un renfoncement. Je crois que j'ai trouvé l'endroit parfait.

Je m'y installe confortablement. C'est pas trop mal à vrai dire. L'herbe est assez épaisse pour former un coussin moelleux. Et heureusement pour moi, il n'a pas plu ces derniers jours. J'étale tout mon matériel puis je ferme les yeux. Je me laisse emporter par la musique. C'est vraiment fantasmagorique.

J'essaye de visualiser l'intérieur de l'édifice.

Je l'imagine grand. Des murs immenses avec une acoustique incroyable. Une chorale serait au fond de l'église, dans leur tenue sacrée, et appellerait les anges à s'inviter parmi eux. Leurs voix cristallines se répercutent sur chaque mur en pierre et les gens, face à eux, sont envoutés. Ils ont l'impression qu'un portail entre eux et le ciel s'ouvre. Un portail leur permettant de communiquer avec les gens qu'ils aiment.

A cette heure-ci, le soleil doit taper dans le vitrail Est et les couleurs doivent se refléter à l'intérieur. L'ambiance doit être divine. Une atmosphère sereine doit régner là-dedans.

Nom de Dieu ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant