Nom de Dieu ...

18. Galapiat

Galapiat, n.m. [vieux] : Individu grossier, vaurien, en parlant de jeunes personnes.

J'ai donné mes cours de l'après-midi, comme c'était prévu, mais jamais encore je n'ai eu autant de mal à le faire. J'ai cru que j'allais craquer plus d'une fois. En plus, chaque claquement de porte me fait sursauter. J'ai peur qu'il débarque ici à après ma déclaration foireuse. Et en même temps, j'ai peur qu'il ne revienne plus.

J'ai quand même fermé à clé toutes les portes pour avoir une soirée calme. Je vais dormir ici. Je n'ai absolument pas le courage de rentrer à pied alors qu'il fait bon dehors et que le ciel est magnifique. Mais j'ai besoin d'un endroit rassurant et mon atelier, jusqu'à preuve du contraire, est le meilleur endroit pour ça. J'ai même décidé de consacrer ma soirée à Arthur que j'ai un petit peu délaissé à cause de l'exposition.

Mais Arthur est inspiré de Jonas, alors est-ce que m'occuper de lui ce soir ne serait pas comme enfoncer le couteau dans ma douleur ? Peut-être. Pourtant je suis décidé. Je vais même peut-être pouvoir donner un petit coup de main à Arthur dans ses sentiments.

C'est vrai ça. Il n'y connait rien. Bon, je ne suis pas beaucoup plus avancé que lui, mais j'ai au moins conscience de mes sentiments, aussi douloureux soient-ils. Puis, cette expérience va sûrement m'aider à ne pas trop faire souffrir Arthur. Je vais même lui être d'une aide précieuse.

Arthur ne sait pas ce que ça signifie d'être amoureux.

Il ne sait pas non plus ce que c'est d'avoir le cœur brisé. Pourtant, lui il en a tellement brisé. Mais pas par méchanceté. C'est à cause de son caractère. Puis, il ne sait pas ce que c'est tout ça. Alors je veux lui apprendre tout ça et lui éviter de souffrir.

Techniquement, c'est encore tôt pour parler de sentiments, d'attirances voire d'amour. J'ai crayonné pas mal de planches mais je ne suis pas encore assez loin pour qu'il se rende compte que quelque chose a changé en lui et plus particulièrement dans son cœur. Ça ne m'empêche pas pourtant de réfléchir à ce futur couple.

Je n'ai pas encore réfléchi au sexe de la personne dont il tombera amoureux. Ça n'a clairement pas d'importance même si je pense que ce sera un homme. Avec sa famille entièrement féminine, Arthur aurait sûrement plus de mal à rentrer dans le lard d'une fille pour lui expliquer sa façon de penser. Oui ... ce sera un homme et leurs discussions seront plutôt ... explosives.

S'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que jamais Arthur n'aura de doute sur son orientation sexuelle. Je ne veux pas qu'il soit confronté à ça. A cette crainte que la personne que tu aimes ne soit pas intéressé par toi à cause de ton sexe. Pas à cause de ton caractère. Pas à cause de ce que tu es au fond de toi. Mais à cause de ce que tu as ou non entre les jambes et sur la poitrine. C'est assez terrible en y pensant.

On peut tomber amoureux d'un physique. Je ne dis pas le contraire. Mais tomber amoureux d'un sexe ? Quand j'y pense de cette manière, je trouve ça totalement ... absurde et ça me conforte pour l'orientation d'Arthur. De toute façon, le connaissant, homme ou femme, s'il trouve la personne bête à manger du foin, ça ne passera pas. C'est pour ça d'ailleurs qu'il sera attiré par quelqu'un de cultivé. Mais d'une culture différente de la sienne. Complémentaire.

Parce que oui, ces deux personnes se complèteront. Du coup, cet homme sera ce genre de personne qu'Arthur qualifie de galapiat. Quelqu'un qui a une grande bouche, qui parle et rit fort, qui se fait facilement remarquer et qui clame à tout va des inepties. Enfin, des inepties pour Arthur. Des choses comme « la littérature américaine a changé la face du monde et vaut bien plus que la littérature française ». De totales inepties.

Ils se crêperont le chignon plus d'une fois. Et au bout d'un moment, de plusieurs voyages dans le temps où il découvrira qu'effectivement, la littérature étrangère n'est peut-être pas inintéressante, Arthur se rendra compte qu'il a développé une certaine dépendance à ses chamailleries avec ce jeune homme. Ce moment se produira sûrement la première fois qu'il partira en déplacement avec un autre partenaire. Il trouvera le voyage d'un ennui mortel. Alors il se posera des questions.

Heureusement pour lui, il saura déjà que l'autre peut être attiré par les hommes. Ce sera un bon point pour lui, même si dans l'immédiat, il sera plus préoccupé par le fait qu'il ressente quelque chose pour quelqu'un tout court.

Le plus compliqué pour lui, une fois qu'il se sera fait à l'idée qu'il est attiré par quelqu'un, ce sera d'essayer de le montrer à cette personne. De le lui faire comprendre. Arthur sera forcément maladroit avec tout ça. Il aura tendance à toujours finir par s'embrouiller avec le garçon qui lui plait alors qu'à l'origine, il voulait essayer d'être gentil. Pour une fois.

Peut-être que l'autre aussi sera attiré par lui. Mais pour le coup, lui ne sera pas étonné de ressentir quelque chose pour quelqu'un, mais plutôt de ressentir quelque chose pour un mec comme Arthur. Il se pensera même maso pendant un moment à cause de ça. Et puis, lui aussi, quand il voudra tenter un rapprochement, il finira par se prendre la tête avec Arthur.

Ils seront bien avancés.

Ils galèreront avant de réussir chacun à faire comprendre leurs sentiments à l'autre. Mais jamais ils ne souffriront d'être ce qu'ils sont. Jamais ils ne s'en voudront de ressentir de telles choses pour un garçon.

Et surtout, au final, jamais ils ne regretteront de s'être déclaré d'une manière ou d'une autre.

Jamais.

Je sens les larmes me revenir. Il vaut mieux que je m'arrête pour ce soir avant de me remettre à craquer. Je pars rapidement prendre une douche et lorsque je m'approche du canapé convertible, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas jeter un coup d'œil par la fenêtre. Et j'y arrive. Je suis allongé sur le lit et je n'ai pas regardé s'il était réveillé.

Au final, je n'aurais pas fait grand-chose ce soir. J'ai surtout réfléchi et presque rien dessiné. Une soirée qui aurait pu être totalement gâché si je n'avais pas fait une chose très importante.

J'ai garanti à mon cher Arthur un futur plus heureux.