Seule(ment).

Le début de la fin

[145 jours avant la fin]

Cher journal,
Je me présente, moi c'est Lucy et j'ai 17 ans.
C'est peut-être un peu bizarre de commencer à écrire dans un journal intime à 17 ans, tu ne crois pas? Mais peu importe. S'il faut en finir autant l'écrire.

Je ne sais pas vraiment par quoi commencer, autant te raconter ma journée.
Comme tous les matins, je suis réveillée par le bruit métallique du plateau contenant les médicaments que je dois prendre. Je déteste ce bruit. Je le hais.

En général, je me tourne dos au plateau et j'attends que l'on me laisse tranquille, mais ça ne marche jamais. Tyler se tient face à moi et me tend les pilules. Je fais semblant de ne pas l'avoir vu mais je sais qu'il commence à perdre patience car il soupire pour la 3ème fois. Alors je me lève, je prends le verre d'eau qu'il me tend et j'avale ces deux petits bouts de je ne sais quoi qui me gâchent la vie depuis 1 an maintenant. Tyler me sourit et il s'en va, il a encore 5 chambres à valider.

Au cas où tu te poserais la question, ici on dit que toutes les chambres sont validées lorsque tout le monde a pris ses médicaments. C'est comme « une bonne chose de faite ».

Enfin bref, quand Tyler a finit de valider les chambres, il repasse dans la mienne pour vérifier que je n'aie pas craché ce qu'il m'a donné. Globalement, il me fait ouvrir la bouche et vérifie que je ne les ai pas caché quelque part près de mon lit. Ensuite, il me pose une série de questions qui sont supposées l'aider à vérifier. Il a deux questions favorites: « Comment tu te sens aujourd'hui? » et « Tu as bien dormi? »
Ce à quoi je réponds que je vais bien et que oui j'ai bien dormi.
Évidemment ce sont des mensonges, sinon je ne serais pas ici à gober ce qu'il me donne tous les matins. Et je crois qu'il le sait bien car en partant il me fait un clin d'œil, sans compter le sourire qu'il a en coin des lèvres. Je crois qu'il m'aime bien au fond, même si je suis probablement sa pire patiente. Et je sais qu'il repassera à midi, pour vérifier que j'aie tout mangé.

Les heures passent extrêmement lentement ici, je suis seule, tout le temps. Les gens mentent quand ils te disent qu'ici tu iras mieux et qu'il faudra seulement un peu de patience. Avec eux,  « il faut seulement » énormément de choses, mais chacune d'entre elles est un mensonge.

Excuse-moi si je m'éparpille. Je reviens à ma journée.

Les heures qui suivent le passage de Tyler sont extrêmement longues, je ne sais jamais quoi faire. Je m'ennuie. Parfois, je les entends qui chantent dans le couloir, c'est ce qu'ils appellent « l'atelier bonheur ». Comme si crier à travers l'hôpital allait les aider à être heureux. Je trouve ça ridicule mais bon, ça me fait passer le temps. Je les écoute attentivement en espérant comprendre ce qu'ils disent. Je pourrais me lever et participer à l'atelier, il est ouvert à tous les patients, mais je ne me sens pas bien, comme avant-hier, comme hier et sûrement comme demain. Je préfère rester là, allongée, à attendre que le temps passe.

A 12h03, Tyler repasse dans ma chambre. Il apporte mon plateau de repas et il s'assied à côté de mon lit. Il sait que quand je tremble autant, j'ai besoin de compagnie. Je commence à manger et lui à me raconter des anecdotes de sa vie. Hier en rentrant, il a trouvé sa maison « dans un bordel pas possible » et a cru qu'on l'avait cambriolé. En fait, ce n'était que Barx, son chien, qui avait décidé de jouer en attendant l'arrivée de son maître.
Quand il m'a raconté ça, j'ai esquissé un sourire tout en continuant d'avaler la soupe du jour.

Tyler est mon infirmier préféré, depuis que je suis arrivée ici, il a toujours été très patient avec moi et il sait ce dont j'ai besoin et quand. Parfois, j'ai besoin de calme, de silence et il le sait puisqu'il s'assied à côté de moi sans dire un mot, jusqu'à ce que je lui dise que tout va bien et qu'il peut s'en aller. Je l'aime bien au fond, même si je suis insupportable avec lui.
La première fois que je l'ai vu, j'ai été marqué par ses yeux, il a des yeux verts extrêmement brillants, je les ai trouvé vraiment beaux. En plus, Tyler est grand et pas mal fit, c'est le cliché des gars populaires au lycée. Il a la vingtaine. Il est nouveau ici, tout comme moi.

Une fois le repas terminé, il prend mon plateau et s'en va. Il reviendra ce soir pour me faire aller manger avec les autres. C'est notre deal. Je mange dans ma chambre à midi à condition que j'accepte de manger avec les autres le soir.

Du coup, dès le moment où Tyler s'en va, j'ai environ 5h pour me préparer mentalement à me lever, me préparer, devoir aller jusqu'à la salle à manger commune, etc etc. Ça me fatigue déjà rien que d'y penser.

Mes journées ne varient pas beaucoup, ce que je fais durant mon après-midi (si je n'ai pas de rendez-vous) c'est rester là à contempler le plafond et à penser. Parfois je me mets à pleurer, mais ça personne ne le sait car je suis toujours toute seule quand ça arrive et je peux me venter d'être extrêmement discrète.

Ce que j'ai fais cette après-midi c'est que j'ai fais l'effort de me lever et je suis allée m'installer au bord de ma fenêtre (fermée évidemment) et j'ai essayé de donner un sens à ce moment. "Qu'est-ce que je fou là" c'est la question qui est revenu le plus souvent dans mon esprit.

Je te raconterai plus tard comment j'en suis arrivée là.

Quand le moment est venu, Tyler vient me chercher et je m'en vais manger. La salle se trouve à 2 pas de ma chambre mais je suis si fatiguée...

[22h56]

Il est l'heure pour moi d'aller me coucher, je te raconterai la suite demain.