Presque machinalement

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[144 jours avant la fin]

Salut journal.

Désolée de t'avoir lâchée un peu rapidement hier soir, les somnifères faisaient à peine effet mais je devais en profiter.

Je voulais te raconter ma soirée d'hier. Rien de spécial ne s'est passé mais j'ai comme philosophie de vie de toujours terminer ce que je commence.

il était environ 18h45 quand Tyler est venu me chercher hier. Je ne me sentais vraiment pas bien. J'avais des nausées, je tremblais et j'avais mal à la tête. Je n'ai pas voulu alerter Tyler donc j'ai fais semblant que tout allait bien. Honnêtement, je me suis habituée à le faire et je crois qu'être ici ne m'a qu'aidé à améliorer ce petit talent caché.

Donc bref, on a marché ensemble jusqu'à la salle à manger commune qui, rappelons nous, est à deux pas de ma chambre, mais il tient à m'accompagner pour être sûr que "je ne triche pas".

"Un deal c'est un deal." c'est ce qu'il me répètes tous les jours au moins 2 fois pour me motiver à rejoindre les autres.

Parfois, on parle un peu le temps d'y arriver mais en général ça ne va pas plus loin que des questions du genre "qu'as-tu fait aujourd'hui?" ou bien "Tu as faim?". Ce à quoi je réponds d'un signe de la tête pour lui faire comprendre que ça va mais pas trop et que je ne veux pas répondre à ses questions débiles.

Arrivée à la salle à manger commune, je me dirige toujours vers la même table. Elle est isolée dans le coin de la salle. Je n'ai vu qu'une personne y manger depuis que je suis ici et cette personne c'est moi. Une fois installée, je regarde si Tyler m'observe depuis la table des infirmiers. La plupart du temps, il me fait un petit signe de la tête en direction des autres adolescentes de mon âge pour me faire comprendre que manger avec elles me serait bénéfique. Mais je tourne la tête et reste installée à mon spot. Je l'aime bien cet endroit parce que les gens ne s'approchent pas de moi. Ici on m'appelle "La dépressive", "La meuf cheloue" ou encore "Celle qui ne sort jamais de sa chambre". Et crois-moi ou non, personne n'oserait s'approcher de "La dépressive".

Une fois que tout le monde s'est servi et a commencé à manger, je me lève pour aller me servir. Pas besoin de faire la queue comme ça. La dame de la cafet' s'appelle Maria je crois. Elle est vraiment gentille avec moi. Elle me sourit tout le temps et son sourire est contagieux. Elle me sert une grosse portion même si elle sait pertinemment que je ne mangerai même pas la moitié mais elle tient à ce que "je sois bien nourrie". Donc je retourne m'asseoir, mon plateau dans les mains.

Quand j'ai fini de manger (ou plutôt que j'ai gouté au plat du jour), je dois attendre que Tyler ait fini pour qu'il me ramène dans ma chambre. "Un deal, c'est un deal". Parfois, il fait exprès de faire long pour que je sois obligée de manger pour patienter, mais il sait que ça ne fonctionne pas chez moi. Il abandonne assez vite. Ensuite, quand il finit de manger, il vient s'asseoir avec moi, il me demande si c'était bon, etc. Le genre de questions inutiles dont je te parle depuis le début.

Hier il m'a demandé si j'avais commencé à écrire dans mon journal, ici présent. Je lui ai répondu que non car j'ai eu peur qu'il me demande de te lire. C'est lui qui m'a offert ce journal, enfin toi. Je crois que tu es le plus beau cadeau que j'ai reçu depuis bien longtemps.

Après environ 10 minutes de bavardage, il se lève et on peut enfin quitter cette salle. Il m'accompagne jusque m'a chambre et il me conseille de pas me coucher directement. Puis il me félicite pour mes efforts du jour. Il était 19h56 et je savais qu'il repasserait à 21h30 pour me donner mes somnifères, ou me les injecter, tout dépend de mon humeur.

C'est exactement ce qui s'est passé car à 21h30, il était de nouveau dans ma chambre un plateau métallique dans les mains. C'est le seul moment de la journée où il ne me pose pas de question. Il s'assied vers moi et il prend mon bras. Il vérifie que je ne me soit pas scarifiée et il reprend son plateau. En général, il comprend assez vite si je suis prête à faire l'effort d'avaler ces médocs ou s'il devra me les injecter. Hier il me les a injecté. Trop d'effort pour la journée, je n'aurais jamais coopéré avec lui. C'était plus fort que moi.

Ensuite, il reste un coup, le temps que le médicament commence à faire effet. Durant ces moments-là, on parle de tout et de rien. Et c'est là qu'il me donne mon emploi du temps de la journée qui suit. Pour aujourd'hui, je n'avais pas de rendez-vous spécial, ça m'a rassuré. Je profite de ce moment-là pour lui demander quand est-ce que je pourrai partir, mais il me répond qu'il ne sait pas et que je verrai à mon prochain rendez-vous.

Je crois que je t'ai tout raconté, journal. Je n'ai pas grand chose à ajouter.

En ce qui concerne ma journée d'aujourd'hui, je n'ai absolument rien fait de spécial. Maintenant que tu connais ma routine, tu peux bien t'imaginer que je n'ai pas pu aller très loin.

J'ai pourtant oublié de te raconter la fin de mes journées. La vraie fin.

Vers 22h50, c'est Mélanie, une autre infirmière, qui vient vérifier si je dors ou non. Si je ne dors pas, elle me demande si tout va bien et si j'ai besoin de quelque chose. Elle sait pertinemment que même si j'en avais extrêmement besoin, je n'utiliserais jamais le bouton rouge au-dessus de mon lit qui sert à appeler quelqu'un en cas de besoin. Puis elle s'en va assez rapidement car je n'ai jamais besoin de rien. Avant de partir, elle me rappelle que le bouton est là pour ça et qu'il ne faut pas que j'hésite à l'utiliser. Puis, elle me rappelle qu'il est l'heure de dormir. "Si tu veux guérir, il va falloir dormir". Mais je ne l'écoute pas. Je ne suis pas malade après tout.

[23h02]

Je te laisse, journal. A demain.

Seule(ment).Où les histoires vivent. Découvrez maintenant