La chute

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[51 jours avant la fin]

Hey toi. Comment vas-tu ?

Oui, je suis toujours aussi attachée à toi malgré tout. Même si tu n'es qu'un journal au fond. Enfin bon, peu importe.

Je me suis levée pas mal tôt aujourd'hui, mais j'ai bien dormi. Je crois que ça m'a fait du bien de dormir. J'ai énormément d'heures de sommeil à rattraper.

Tu te rappelles journal, la dernière fois (hier) je t'avais dit que je serais transférée dans une autre unité. Ben il se trouve que je vais changer d'unité dans une heure précisément. Et même si ça me fais peur, j'espère que ça se passera bien et qu'ils feront en sorte d'atténuer mes craintes.

Dans tous les cas, je te tiens au courant journal.

Aujourd'hui je voulais te parler des activités proposées ici. De ce que l'on fait pour passer le temps. Mais surtout ce que l'on fait pour ne pas chuter ou rechuter. Je veux dire, ce que l'on fait pour oublier la chute qui nous a mené ici. 

Depuis que je suis ici, j'ai pu participer à plusieurs ateliers mais mon préféré, c'est la musicothérapie. C'est génial parce que tu peux jouer, chanter, crier même si ça te chante. On s'en fou, le but c'est pas de plaire mais de s'alléger. Le but c'est d'aller mieux. 

Alors, comme tu sais, je fais du piano depuis un moment, et jouer ne m'a jamais autant manqué avant d'avoir pu participer à cette thérapie. C'était cool parce que le regard des gens ne comptait pas. On était là pour soi mais avec les autres. Je ne sais pas si tu vois, c'est assez compliqué à expliquer mais c'était exactement ça. C'est le principe de s'aider tout en aidant les autres qui eux mêmes tentent de s'aider. Bref, j'ai vraiment adoré.

Sinon, j'ai pu participé à l'art-thérapie aussi. J'ai pu dessiner, puis peindre. Au fond, je n'ai fait que de gribouiller mais c'était cool de gribouiller sans se faire juger. 

On était libres de faire ce que l'on voulait, il n'y avait aucune contrainte. Alors j'ai dessiné un cerveau. Mais pas juste le cerveau qu'on connait depuis qu'on est petit, tu sais celui qu'on trouve dans les manuels, le truc rose tout globuleux. C'était pas ce cerveau-là. Moi j'ai dessiné mon cerveau à moi. 

J'ai commencé par dessiner un oeuf, parce que j'imagine mon cerveau ovale. Puis je l'ai séparé en deux. Pas pour suivre l'idée conventionnelle du cerveau en deux parties mais parce que je sens bien que j'ai deux moi. Donc deux parties de cerveau. Dans la partie de gauche, j'y ai dessiné des fleurs, des arbres, des fruits, pleins de trucs naissants de la terre. Mais j'ai aussi dessiné des cailloux, la mer et le soleil. De l'autre côté j'y ai dessiné un piano, un violon et une guitare. Puis j'y ai ajouté des notes de musique volantes, s'échappant de "l'oeuf". Et pour conclure, j'ai rajouté des étoiles, des milliards d'étoiles. C'est comme si elles faisaient la course avec les notes de musiques. Elles sont complémentaires dans ma tête.

Bon là c'est le moment où tu te dis que je suis folle, que j'écris n'importe quoi et que ça n'a pas de sens. Mais c'est ça qui est beau. C'est qu'il n'y a pas besoin que tout ait un sens pour exister et être beau. 

C'est une des choses que j'ai apprises ici aussi. Plus tu es différent, plus tu es spécial et plus tu es  précieux. 

Si j'en ai l'occasion, je te montrerai ce dessin. Je le collerai ici. Je crois que tu mérites de le voir. Après tout, tu es le meilleur thérapeute que je n'aie jamais eu.

Puis sinon, j'ai pu participer à des ateliers communicatifs. C'est-à-dire que tout le monde peut prendre la parole quand bon lui semble mais qu'aucune obligation ne lui est donnée de le faire. Ainsi, on est tous assis et on écoute, on partage et on apprend.

Au début, ça m'a fait pensé aux clichés des alcooliques anonymes, puis j'ai compris que c'était bien plus que juste un groupe de gens assis en rond. C'était un mélange d'expérience qui fait grandir. 

Pour ma part, je ne suis pas très bavarde lorsqu'il s'agit de prendre la parole devant des gens. Même en classe, je suis le genre de fille qui ne lève jamais la main et qui ne dit jamais rien. Mais là j'ai appris que si je voulais guérir, je devais y mettre du mien, alors j'ai participé. J'ai partagé. J'ai écouté et j'ai appris. 

Ce que je tire de ces ateliers c'est que tu peux chuter mais tu ne coulera pas si tu décides de sortir ta tête hors de l'eau. Autrement dit, guérir c'est un choix. Et oui, ça parait bête dit comme ça. Ça parait même pas du tout faisable. Mais je t'assure que si. Même si je n'ai pas encore réussi. J'ai espoir qu'un jour, moi aussi je sortirai la tête hors de l'eau et je pourrai enfin respirer. 

Breathe. Just breathe. And it takes time, I know it so well.

Et oui ça prend du temps mais je me dis que je n'ai pas fait tout ça pour rien. Je ne suis pas là pour rien. Ce n'est juste pas possible. 

Alors, je continuerai de dessiner, de peindre, de chanter faux, de crier, de jouer et plus encore. Je continuerai d'écouter et de suivre les conseils que l'on me donne. Je continuerai de parler, de me vider et d'arrêter de garder pour moi. Je continuerai d'apprendre.

Peut-être que je ne vivrai pas dès demain. Peut-être que je survivrai encore un moment. Mais peu importe. Parce que je sais qu'un jour je pourrai respirer. Je sais qu'un jour j'arrêterai d'étouffer. 

[14h04]

Il est l'heure pour moi de me reposer un peu. Dans 40 minutes, j'irai rejoindre les ados. Dois-je te répéter à quel point ça me terrifie? 

Arh, peu importe, je me battrai. J'ai besoin de respirer. Je veux vivre putain.

Je-Veux-Vivre.

Je t'écrirai tout bientôt journal, je n'y manquerai pas. Il faudra que je te raconte comment ça se passe. Tu me manques déjà.

A plus, bidule. ^^

Seule(ment).Où les histoires vivent. Découvrez maintenant