Chapitre 2
Toute à ses maussaderies, elle rejoignit Héloïse, qui lisait tranquillement à l'ombre d'un arbre. Voyant sa sœur venir à sa rencontre, cette dernière posa son ouvrage et l'accueillit de son plus beau sourire. Sa robe noire la rendait encore plus petite et frêle qu'elle l'était déjà, et une évidente fragilité émanait d'elle. Les manches bouffantes et tailladées de son habit accentuaient à ses longs doigts fins et pâles une flagrante apparence de mort ; et ses poignets, délicats, contrastaient avec la largeur de ses épaules garnies d'un coussin rembourré de jonc de mer.
L'ensemble faisait d'elle une parfaite image de piété, mais aussi de mort ; ses doux cheveux blonds frisés, entremêlés de fines boucles d'or, encadraient parfaitement son visage de porcelaine ; ils avaient toujours gardé leur souplesse et leur éclat. Et sa petite frange aux boucles parfaites ajoutait à ses yeux bleus un air mutin qui lui seyait très bien. Mais elle demeurait plus jolie que belle, car elle avait toujours l'air grave, ce qui lui conférait une mine mélancolique à la limite de la tristesse et faisait retomber ses traits pourtant bombés par la rondeur de la jeunesse.
— Comment te portes-tu aujourd'hui ? S'enquit Catherine en lui prenant la main et lui souriant avec la déférence qu'elle vouait à cette petite sœur qu'elle chérissait, bien que parfois de façon malhabile.
— Je vais bien, répondit la jeune fille avec un beau sourire qui illumina son visage et le teinta de joie. Le soleil et la chaleur me font du bien, et je respire aisément. Mais je dois avouer, continua-t-elle en reprenant sa gravité, que malgré ma santé fragile c'est ton propre état qui me préoccupe. Je vois bien que tu souffres de la décision de notre père. Et tu as raison d'avoir peur ; mais à mon avis, ni notre mère ni Thibault ne te laisseront nous quitter pour la vie religieuse.
— Puisse le Ciel t'entendre ! L'implora Catherine. Je respecte Dieu, mais ne puis me résoudre à lui consacrer ma vie.
— Tu ne saurais y parvenir, observa sa cadette avec lucidité, tant tu sembles réfractaire à l'idée qu'Il te veuille du bien. J'en viens à croire que tu doutes même au fond de toi qu'Il existât.
— S'Il existait, Il saurait que je ne veux point le rejoindre, rétorqua-t-elle, que je refuse même un époux, à moins de l'aimer d'un amour incommensurable. Or l'on ne peut aimer personne plus que soi ; ce serait de la folie, ce serait une faute envers notre propre personne ! affirma Catherine avec force. J'abhorre cette condition qu'est la nôtre ! Il nous faut toujours choisir entre la servitude et la servitude ! Et jamais nous ne pouvons demeurer seules si ce désir nous prend ! Il faut faire les affaires de ceux qui nous vendent et de ceux qui nous acquièrent. Peu de mariages d'inclination se célèbrent, ou bien ils sont clandestins.
« Si encore je savais que je puis aimer ! Se lamenta-t-elle en laissant s'échapper de ses yeux mielleux des larmes qui scintillèrent le long de ses joues ; mais je ne me sens guère le cœur amoureux ni l'âme galante. Que ne suis-je inspirée par les élans du cœur, à défaut d'être docile ! Quant bien même je serais amoureuse, je sais bien en mon for intérieur que je ne serais pas davantage disposée à vouer ma vie à l'harmonie d'un ménage ; c'est une crainte de l'insipidité d'une condition toute bête, qui unit chaque jour un homme à une femme ! Même si l'homme partait en guerre, la femme lui serait subornée si souvent ! Elle devrait composer avec un autre qu'elle-même, un être si différent, qui ne souhaiterait jamais rien partager d'autre avec elle que des instants de frivolité ! Comment vouloir unir des êtres ayant si peu en commun ? Dans quel dessein sinistre avons-nous décrété qu'au regard de Dieu toute alliance serait immortelle, et scellée par des devoirs n'ayant pour la femme rien de gratifiant ni d'honnête, et dirais-je même humiliants et sordides ?
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...