Chapitre 11

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Chapitre 11

Plusieurs heures s'étaient écoulées et Catherine n'avait pas reparu au domaine. Thibault, tourmenté par le remords de l'avoir laissée seule, dépêcha plusieurs valets et demanda à ce que l'on rapporte partout dans le village que sa sœur avait disparu dans les bois ; peut-être s'était-elle perdue et avait-elle retrouvé le chemin du bourg. Peut-être aussi était-elle tombée de cheval et était-elle étendue inconsciente, offerte aux dangers que représentaient les loups ou les bandits de grand chemin. Il était d'autant plus inquiet que le crépuscule arrivait au galop et que les recherches demeuraient vaines. Il avait reconstitué le chemin qu'ils avaient arpenté, jusqu'à l'endroit où il l'avait laissée. Rien. Pas de nouvelle trace. Les domestiques du domaine avaient été mis à contribution pour la rechercher ; rien. On envisageait de pousser les investigations aux villages alentours, car il songeait bien qu'elle avait pu s'enfuir, mais la nuit apparaissant opacifiait le ciel en le teintant peu à peu d'une noirceur inquiétante, bien que pour l'instant aussi légère qu'un voile couleur d'onyx.

Le vieux Larroque, lui, demeurait impassible. Il ne savait pas réellement comment réagir. S'inquiéter ne servait à rien, se réjouir était cruel. Celle qui lui causait un bourrèlement continu était perdue. Tant qu'elle ne serait pas retrouvée, il se sentait curieusement incapable d'émotion, attendant de connaître le dénouement pour savoir s'il était heureux de la retrouver ou soulagé de la savoir sans vie. Il n'était cependant pas très à l'aise avec ces pensées. Mais il était las, par-dessus-tout.

Héloïse priait dans ses appartements. Elle priait nuit et jour, et voyait une raison supplémentaire de prier encore dans la disparition de sa sœur. Par charité, elle priait pour que Catherine leur revienne saine et sauve. Elle n'était pas certaine néanmoins de le désirer du fond de son cœur. Il lui fallait expier cette pensée impure, et elle priait avec d'autant plus de force, implorant le Seigneur de lui rendre également l'amour inconditionnel qu'elle avait un jour éprouvé pour sa sœur, et de lui donner l'occasion de se rapprocher d'elle en lui accordant la vie et en la ramenant au domaine. La colère sourde s'exprimait ainsi, à la faveur de ce drame. En effet, Héloïse, aux tréfonds de son cœur, reprochait à Catherine de la tourmenter avec ses états d'âme. Cette jeune personne était incapable de se satisfaire du moindre instant qui lui était donné de vivre, et Héloïse trouvait cela malvenu, dans une famille qui avait vu mourir tant d'enfants, dans un monde en guerre où bien des gens souffraient davantage que cette petite âme soumise à de futils tourments existentiels. Héloïse avait parfaitement conscience que ce genre de reproches était de mauvais ton également ; et les moments qu'elle passait à prier taisaient cette voix intérieure qui vitupérait à l'encontre de sa sœur.

Madame Larroque versait des larmes en silence dans les jardins. Elle craignait que sa fille soit morte. Elle avait perdu presque tous ses enfants, et chaque fois, la douleur était atroce ; elle ne pouvait s'y accoutumer. Elle aurait souhaité prier, elle aussi, mais elle ne pouvait s'empêcher de songer que tout cela était vain. Elle s'en remettait totalement à Thibault, qui faisait le nécessaire pour organiser des battues. L'espoir, l'action, c'était en cela qu'elle croyait désormais, même si on la lui ramènerait sans vie.

La nuit commençait à tomber ; il fut convenu que les recherches commençeraient le lendemain à l'aube, mais Thibault ne pouvait s'en satisfaire.

— Allons avec des torches ! Les chiens n'ont pas besoin de voir, ils ont besoin de sentir ! Peu importe que la nuit soit noire ; il faut retrouver ma sœur !

— Nous ne partirons pas, lui dirent les bourgeois. Pour l'heure, cela est trop dangereux.

— Ils ont raison, intervint le vieux Larroque. Attendons demain.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now