Chapitre 4

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Chapitre 4

Partagée entre la honte et la résignation, elle se résolut de ne pas amener la conversation à ce sujet. D'ailleurs, il n'était pas temps de songer à l'avenir. Le présent semblait s'étirer à l'infini, comme s'il n'y aurait jamais de lendemain. Cette idée se faisait réconfortante, et l'apaisa quelque peu. Elle prit le parti d'égayer la conversation, et de s'évertuer à détourner son frère de la morosité, espérant échapper elle aussi au bourrèlement que lui infligeaient ses inquiétudes.

— Alors, dit-elle en affectant le plus grand déplaisir ; tandis que je me morfondais, tu passais du bon temps en compagnie de tes amis, des frères d'armes ; des coquins de ton acabit !

Elle parvint tel qu'elle l'espérait à lui faire de nouveau perdre son sérieux. Elle pouvait, lorsqu'elle n'était pas irascible, amuser et distraire avec un talent certain. Mais elle n'en usait pas assez, selon les constatations affligées de son entourage.

— L'injustice est bien grande, mais je te promets de la réparer. Je te présenterai mes amis et te ferai partager mon bonheur de les avoir rencontrés. Ils te connaissent déjà pour ce que je leur ai dit de toi, en des termes élogieux qui hélas ne leur auront point tant représenté la valeur que tu possèdes à porter dignement la tête haute que la grande beauté qu'ils prêtèrent aux traits que je leur ai dépeint de toi ! S'amusa-t-il. Cependant je puis t'assurer qu'ils sauront reconnaître en toi tout ce qu'ils attendent d'une amie, et qu'ainsi tu pourras découvrir la délicieuse jouissance d'être considérée dans le monde, et de ce fait libre de t'épanouir hors des murs de ce château.

Catherine dévisagea son frère avec réticence.

— Crois-tu vraiment que mon avenir dépende de la somme des courtisans qui devant moi courberaient l'échine ?

— Absolument.

— C'est une idée attrayante que de fréquenter de fins esprits. Rompre la solitude pour une autre sorte d'emprisonnement en est une beaucoup moins séduisante. Je crois que je préfère être ferrée en mon propre château que d'être libre dans un salon clos.

— Incorrigible pessimiste ! S'exalta Thibault. Ce n'est point en fuyant la compagnie de l'homme que tu parviendras à imposer ta conduite ! J'ai bien peur que tu te méprennes sur mes intentions. Assurément, tu ne saurais croire que je souhaite te duper ; tu me connais fort bien pour savoir que je préfèrerais me perdre que de te compromettre. Mais cela ne t'empêche pas de douter quant à l'exactitude de mes desseins, et de croire à tort que je n'ai rien entendu de ton mal-être, et de tes espérances. Sache que même étant homme, étant libre de ce fait, je puis savoir ce que recèle ton cœur, et quelle est la cause que tu défends en défendant ta vie. Je souhaite même que tu saches que je t'admire, et que je respecte ta cause ; car je sais que tu te trouves dans le vrai. J'espère seulement qu'elle ne te gardera pas d'être optimiste, et de trouver le bonheur, quel qu'il soit, pourvu néanmoins que tu ne t'écartes pas trop du genre humain.

Catherine soupira. Cette dernière phrase l'avait désenchantée. Elle se sentait capable de survivre à quelque institution que ce soit, sans le réconfort communautaire des hommes, sans la rigidité de leur hiérarchie et de leurs classes, sans la distinction entre la bête et l'humain. Or Thibault demeurait incapable d'entendre cela. Mais il avait d'autres qualités. Il était homme à ne pas importuner le monde, à se contenter de vivre, à se contenter d'aimer. Son cœur était aussi léger que celui du nourrisson, et il dormait avec la quiétude de ceux qui n'ont jamais rien commis de malhonnête. Si la famille signifiait peu de choses pour lui, à moins bien sûr de représenter une énième institution rigide et dénuée de toute évolution, ses petites sœurs étaient bien dans son cœur assurées de la meilleure place ; et si d'autres personnes venaient à les côtoyer, il savait bien qu'elles ne feraient jamais que d'y figurer pour un temps, hormis la jeune femme qui le faisait soupirer d'ardeur. Mais il y renoncerait volontiers pour Catherine, si ce sacrifice pouvait bien servir à quelque chose ; car si le monde était cruel, absurde même pour la jeune femme, il avait ses lois, et la vie n'avait qu'à s'y soumettre aux yeux du raisonnable Thibault. S'il ne partageait pas la fougue de sa sœur, il se trouvait soulagé de savoir en elle la force de contradiction qu'il aurait dû posséder, ou du moins partager. La rébellion de Catherine était à ses yeux une révolte salutaire pour tous les deux, chose que ne comprendrait jamais Héloïse, quelque peu hautaine et méprisante lorsqu'il s'agissait de poser le regard sur le sage dissident et la vénéneuse effrontée.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now