Chapitre 3
Héloïse et Catherine avaient gagné leurs appartements pour n'en sortir qu'à l'heure du souper, qui avait généralement lieu fort tard parce que tous attendaient le retour de Thibault, passant à l'ordinaire l'essentiel de l'après-midi sur les routes, dans les champs et les vignes, et prenant aussi le temps de visiter des amis de la famille et certains de leurs vassaux pour leur transmettre de la part de la famille Larroque l'expression de leur considération. Ce soir-là il rentra particulièrement tard, et tout le monde était exténué, bien que ravi de se retrouver à table en famille.
Le soleil avait fortement décliné dans le ciel, qui s'obscurcissait avec l'imminence d'une nuit noire et hâtive. Chaque pièce du château brillait des flammes en multitude des candélabres et des chandeliers. Dans la grande salle brillait au-dessus de la longue table massive un lustre imposant qui illuminait le cristal des verres et l'argent étincelant du service trônant fièrement sur la nappe soyeuse et finement ouvragée de broderies. La plus grande pièce de l'édifice était meublée selon la vogue de ce siècle, et rehaussée de part et d'autre de deux miroirs en pied, dont la vulgarité se trouvait attestée par monsieur le comte, qui y voyait la prime expression de la vanité de l'homme. Dans sa grande sagesse, Héloïse avait répondu à cette affirmation exempte d'argument que personne dans la maison, parmi la famille ou les domestiques, ne se mirait dans ces miroirs et qu'ils avaient pour seule fonction d'agrandir encore la pièce en lui attribuant une plus grande clarté, ainsi qu'une illusion d'infini, explication à laquelle le patriarche n'avait rien su répondre, hormis le marmonnement dont il usait à l'ordinaire pour alimenter sa propre vitupération. Même à l'autre bout de la table, madame la comtesse avait eu l'occasion d'entendre qu'il y était question de la « fantaisie » avec laquelle elle avait fait rénover la grande salle, qui n'avait « jamais été aussi pompeusement ridicule ». Si Catherine s'était avisée de prendre la parole comme Héloïse l'avait fait, elle aurait été châtiée. Or monsieur Larroque se fiait à sa cadette plus qu'à quiconque, et davantage encore qu'à son épouse, qu'il malmenait de son mépris de plus en plus souvent. Vieillir l'aigrissait d'autant plus que ses humeurs ; or personne ne pouvait se rendre responsable de ses malheurs.
Les domestiques assuraient silencieusement le service, tandis que, chose étrange, Thibault se taisait ; or il avait pour habitude de relater avec volubilité les faits de la journée, une sorte de compte-rendu destiné au père de famille qui distrayait également les jeunes filles, cependant tenues à l'écart de la conversation par leur ignorance à l'égard des affaires du domaine. Ce soir-là, le patriarche ne rompit même pas le silence pour questionner son fils, qui visiblement était particulièrement éreinté ; il fixait gravement son assiette de foie gras et de garbure, plat paysan qui, un tant soit peu amélioré et richement garni, faisait l'essentiel des repas de la famille.
Le souper touchait à sa fin et l'on se resservait du goulade lorsqu'enfin le patriarche prit la peine de s'adresser à tous :
— Profitez bien de ce repas, ma petite Catherine, car il est le dernier que vous recevrez ici, dit-il soudainement, rompant le silence d'une grave voix monotone trahissant cependant une note de défi ; demain dès l'aube vous quitterez le domaine pour n'y plus paraître ; et vous serez faite nonne.
L'assistance pâlit. Thibault reposa ses couverts, lourdement désappointé, tandis qu'en son for intérieur madame d'Aubressac priait pour que cette décision ne soit pas définitive, et qu'Héloïse accusait la nouvelle avec une peine affichée. Catherine quant à elle lâcha ses couverts et s'empressa de dissimuler son visage de ses douces mains, qui retenaient les larmes abondant, agrémentées de hoquets sans retenue. Le patriarche s'irrita de ces sanglots que personne ne se risquait à épancher, tandis que Thibault demeurait interdit, jusqu'à ce qu'il rencontre le regard de son père. Alors il le toisa, et le vieux s'en emporta de rage :
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...