Chapitre 13

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Chapitre 13

— Comment pouvez-vous être certain de retrouver mademoiselle Larroque ?

— Cela est bien simple ; quelqu'un l'a ravie, et m'a donné un rendez-vous pour la reprendre.

Tous furent interloqués.

— Quand cette rencontre s'est-elle produite ? Avant ou après que vous ayez perdu connaissance ? Se moqua Vielly.

— Avant, répondit Saint-Adour sans perdre contenance. C'est en me retournant pour voir où partait mon interlocuteur lorsque nous nous sommes quittés que ma tête a violemment heurté une branche basse.

Alors qu'on ne l'attendait plus, Philippe de Sainte-Aube se fit annoncer. Il commençait à être tard, et quoique l'alcool coulât fort peu les compagnons semblaient prompts à entrer dans un état second. En effet, un domestique avait apporté la nouvelle au duc qui, radieux, riant, s'était levé de sa chaise et s'exclamait en vainqueur : « Et voici notre Saint ami qui nous revient de l'Enfer ! De plus, il n'est pas seul : il apporte dans ses bagages la délicieuse comtesse de Lenlis ! ».

— Faites-les entrer ! cria-t-il à l'intention d'un autre serviteur. Que nous l'accueillions comme un roi !

Layemars, applaudit, suivi de Boissec. Vielly soupirait quant à lui de soulagement, à l'idée de goûter la compagnie de cet homme avec lequel on pouvait partager de précieuses conversations.

Et voici que peu de temps après, la comtesse de Lenlis faisait son entrée aux bras de Sainte-Aube dans le Cabinet des Mignardises, radieux, convaincu de son succès à la vue des hommes qui se levaient l'un après l'autre afin d'applaudir dans sa direction.

Chacun lui donna l'accolade, Saint-Adour semblant définitivement revivre sous l'étreinte de son jeune ami. En peu de temps, le jeune homme observa que pas un de ses compagnons ne se trouvait absent, hormis le pauvre Houdanville, qui avait besoin de repos.la flamboyante comtesse de Lenlis connaissait également un certain succès auprès de la compagnie, mais surtout auprès de Layemars, qui n'espérait pas la revoir en ce lieu et en fut merveilleusement surpris.

— Allons, Charles, venez donc me saluer, dit-elle en lui tendant sa main, se piquant d'être gracieuse.

Layemars se leva, s'avança lentement vers elle, et lui baisa amoureusement les mains, avant de l'installer dans un confortable fauteuil de velours rouge, près de la place qu'il occupait. Son cœur brûlait pour la jeune femme ; quant à la ténèbreuse comtesse, elle l'affectionnait avec le plus grand soin, se défendant de l'aimer de l'amour véritable, celui que tendent à éprouver les précieuses éprises d'idéal, pour cause que la Lenlis était désabusée, moins d'ailleurs par son fantasque compagnon que par les hommes qui s'étaient joué d'elle et de l'innocence qu'elle avait encore lorsqu'elle sortit du couvent pour se trouver assaillie de prétendants, qui ne tinrent nulle promesse. Sa réputation, qui se construisait à peine, pâtit fort longtemps de ces odieux abus ; d'ailleurs, elle s'en trouvait encore tachée.

Satisfait de trouver là tous ses amis, Saint-Adour se mit à considérer la compagnie, dont chacun des hommes avait le regard posé sur la scène : Sainte-Aube, assis près de la comtesse, l'un et l'autre parés d'une semblable chevelure foisonnante et embrasée, de sorte que l'on eût dit qu'ils fussent frère et sœur, alors que la chose s'avérait tout bonnement impossible. Mais l'un comme l'autre avaient coutume de se voir comme tels, bien que leurs taquineries fussent davantage portées sur les joutes verbales que pourraient s'échanger deux amants. La chose était si aisée avec cette femme qui revendiquait sa liberté ; cependant, loin d'être dupe, Sainte-Aube avait par trop entendu les cris sans paroles du cœur de la jeune femme, qui assurément soupirait pour un autre homme que lui. D'ailleurs, il ne se sentait guère transporté par cette femme, mais plutôt doucement ému, et résolument admiratif. Les choses en étaient donc fort sages.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now