Chapitre 7
La main d'Houdanville, amène, se posa sur son épaule, et il ne sut adresser à son beau-frère qu'un regard interdit, pendant que les autres se trouvaient attablés de manière plus correcte, quoi qu'ils continuassent à sourire. Tâchant avec empressement de recouvrer la gaieté, et affectant du moins de paraître concentré davantage sur les pitreries de ses comparses que sur la maussaderie qui accaparait son esprit, il étreignit à son tour l'épaule d'Houdanville en le secouant joyeusement.
— Vous vous dites mes amis, s'exclama-t-il à l'encontre des gentilshommes en affectant le plus grand désespoir, les pointant tour à tour du doigt en les rabrouant avec bien moins de colère que d'allégresse ; mais je n'en crois rien au vu de la fable dont à vos yeux je fais l'objet ! Voilà, s'emporta-t-il soudain avec la même colère factice, comment vous traitent ceux que vous conviez à votre table, et dont vous vous laissez aimablement déposséder de vos biens, de vos meubles, de votre ripaille et de votre sœur ! Peste soit de vous !
Les fâcheux individus, incriminés avec tant de ardente affliction, rirent de plus belle en renversant leurs têtes en arrière et trinquant avec le contenu d'une autre bouteille de vin. Saint-Adour porta une bourrade amicale à Houdanville, qui continuait lui aussi de boire plus que de raison. Il avait coutume, surtout lorsqu'il se trouvait au château, de veiller à ne pas basculer dans les excès, car il savait son épouse de mauvais gré de le voir ivre, gris ou gai. Or dans ces occasions-là elle se trouvait si importune et désobligeante qu'il tâchait à tout prix d'éviter de la mécontenter. Cependant cette fois, il s'était abandonné de bon cœur à l'incartade, la lassitude l'ayant gagné à l'égard d'une si pesante autorité, par trop conscient de l'évidence que son épouse trouverait toujours quelque chose à lui reprocher.
— A propos, comment se porte ma sœur ? Demanda Saint-Adour à son beau-frère, en portant à ses lèvres un nouveau verre plein.
Houdanville, qui souriait avec bonhomie, changea tout à coup de disposition.
— Demandez-le lui, rétorqua-t-il avec désormais une froideur véritable ; elle vit à quelques pas de vous, dans cette même demeure !
Saint-Adour ne daigna objecter ; il ne répondit rien, semblant davantage concentré sur son verre de vin, comme s'il pouvait en savourer tranquillement le breuvage en dépit de la colère qui brûlait les pupilles ardentes qu'Houdanville posait sur lui, ayant depuis longtemps cédé son impatience contre de vifs reproches, qu'il exprimait désormais avec toute la désobligeance d'un homme qui sait s'octroyer la liberté de dire enfin ce qu'il a toujours pensé.
— Vous refusez de la recevoir, et n'ouvrez vos portes que pour nous laisser entrer, dit-il en prenant à parti le reste de l'assemblée ; cependant, personne ne souhaitait se ranger de son côté, jugeant la femme incriminée indigne de quelque soutien.
Néanmoins, Houdanville continuait de répandre ses vitupérations, insensible à la solitude dans laquelle il se murait en défendant son épouse. D'ailleurs, il agissait davantage pour éviter de se trouver en fâcheuse posture entre le frère et la sœur que pour réconcilier deux entêtés. Or tous entendaient sa démarche, qu'ils respectaient, et jusqu'au réticent Saint-Adour qui concédait volontiers mettre son ami dans un indéniable embarras ; cependant elle était vouée à l'échec, car aucun des deux Saint-Adour ne laisserait l'autre avoir le dernier mot, et que le marquis serait bien infatué de la reconnaissance qu'avait eu l'auguste famille de le convier sur son arbre généalogique s'il croyait qu'il pourrait les pousser l'un vers l'autre et les raccommoder sans savoir de quoi il en retournait. L'amitié qu'Houdanville apportait au duc était indéfectible, et son mariage avec sa sœur l'était tout autant, en dépit des réticences du couple à véritablement s'aimer et se respecter. La froideur jetée sur la fratrie n'était pas pour durer ; mais tant que l'orage ne serait passé au-dessus du château, il faudrait bien cohabiter en bonne intelligence ; d'ailleurs, Houdanville aurait pu se repentir d'avoir ravivé la douleur d'une si épineuse discussion, si seulement il n'avait agi à cause que lui aussi souhaitait répandre son ire comme le faisaient si bien les deux autres.
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...