Chapitre 9
Thibault décida d'octroyer à Catherine la matinée toute entière. Levé dès l'aube, il avait donné ses ordres et entendait s'affranchir de tout labeur pour aller se promener. Nul palefrenier ne reçut l'ordre de seller deux chevaux ; le jeune homme avait tenu à harnacher lui-même les bêtes. Ce contact avec les animaux lui était bien agréable ; et il souffrait de ne pas avoir tant l'occasion de concilier tous les égards qu'il portait à son devoir avec la solitude bienfaitrice que l'on ressent à être le seul homme dans une écurie. Concentré sur son ouvrage, il respirait au même rythme que la bête, qui avait cessé de brouter sa paille afin de l'écouter, l'œil alerte, la tête immobile et relevée. Le jeune cheval connaissait encore peu le jeune homme, pour lui avoir été offert quelques semaines auparavant par le Philippe de Sainte-Aube, tout fier d'avoir su faire naître ce charmant alezan à la robe mordorée, et qui valait bien le prix de l'amitié.
Thibault se mit à songer que de semblables moments étaient bien les plus doux qu'il fût donné à un homme de vivre. Le soleil, entrant avec franchise dans l'écurie, illuminait les stabulations, en ayant le soin de se poser avec chaleur sur la croupe étincelante de son animal. La poussière émanant des fourrages voletait comme une multitude de lucioles minuscules, scintillant comme les éclats de l'onde à la faveur de l'astre solaire. Aucun son, hormis le martèlement des sabots, atténué par la litière, ne se faisait entendre ; et ces sourds bruits étaient bien ceux qui le berçaient le mieux, jusqu'à ce que tout à sa rêverie il ne les entendît plus.
Le tranquille cheval gris de Catherine, qui avait été le premier à être pansé puis harnaché, attendait sagement que l'on vienne le chercher. Reportant son poids sur un antérieur puis sur l'autre, il avait encore le regard endormi. Sa nuque s'affaissait peu à peu et par à-coups, tandis que lui prenait ensuite le mouvement de la relever, sans toutefois assez de conviction pour éviter qu'elle ne déchût à nouveau. S'éveillant en sursaut d'avoir entendu les battements d'ailes de quelque oiseau s'étant posé sur les poutres du plafond, il recula de sa porte pour tâter du nez la paille de sa litière. Ses soupirs se trouvaient inaudibles de Thibault. Pourtant, à fourrager dans sa paille à la recherche d'un reliquat de flocons d'avoine, l'animal prouvait bien là que l'humain ne se trouvait pas seul au monde. Enfin, le cliquetis de son mors se fit entendre, brisant avec nonchalance le silence de l'écurie. Thibault redressa la tête, émergeant des songes qui l'avaient étreint. Il acheva d'harnacher son cheval et sortit de la stalle.
Il eut tout le loisir de considérer l'écurie en se rendant à reculons vers la sortie. Quelque chose de morne s'était invité en ce lieu délicieux. Tout d'un coup, il en avait conscience et ne pouvait plus songer qu'à cela. L'objet de ce déplaisir avait envahi son regard, qui allait d'un côté à l'autre de l'écurie, en constatant tristement que la laideur se trouvait bien dans chaque stabulation, vide de tout animal, vide de toute paille. En effet, n'y demeuraient malheureusement que les deux pensionnaires que le jeune homme avait sellé ; les autres chevaux, servant à tirer la voiture, se trouvaient la plupart du temps dans une pâture. L'écurie n'avait rien de semblable à celle qui avait abrité une trentaine de chevaux de selle dans les temps glorieux de la maison. Y étaient nées de belles montures destinées à des princes, des présents de prix servant à sceller une allégeance qui avait valu aux survivants de cette race de perdurer aujourd'hui encore, sans plus néanmoins d'éclat et surtout de finances ; mais qu'importait ce sombre déclin ? Les apparences disciplinant encore un quotidien immuable, et peut-être bien obsolète, de près comme de loin les d'Aubressac ressemblaient à des nobles, et paraissaient bien riches encore à ceux qui se laissaient abuser.
Dans le château, à l'étage, les appartements de Catherine se trouvaient encore plongés dans l'obscurité. Un domestique y entra pour tirer les rideaux du cabinet ; ainsi, la lumière succédait à la nuit, et le jour avec sa chaleureuse clarté semblait enclin à tenir ses promesses. La jeune femme aimait s'éveiller tôt afin de voir poindre le soleil, ou du moins d'en connaître les premiers bienfaits. Elle pouvait bénéficier ainsi de temps bien à elle, qu'elle consacrait généralement à la lecture, ou à quelque promenade dans le jardin, sommairement vêtue, ne craignant pas d'offusquer sa mère et d'outrer son père, car elle savait pertinemment qu'en ces instants ils dormaient encore, ou bien affectaient de n'être point éveillés. Monsieur son père surtout semblait redouter le lever. Il devait craindre sans doute quelque indisposition dont il était coutumier, ou bien une crise de rhumatismes comme il en avait souvent. Parfois, la goutte sciatique* s'ajoutait à ses maux, et d'autres encore lui faisaient garder le lit ou bien la chaise ; or ce qui s'avérait incommodant le plongeait dans une honte telle qu'il en devenait scélérat.
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...