Chapitre 8

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Chapitre 8

— J'ai trouvé du vin ! fit Saint-Adour, victorieux, en entrant dans le cabinet des mignardises les bras levés, chargés chacun d'une bouteille.

Il se trouvait fort ému d'en verser un verre plein à ses amis, aussi pieux que s'ils recueillaient le sang du Christ. Après une bonne gorgée, la conversation reprit son cours, principalement sur les exploits et les frasques de Sainte-Aube. Saint-Adour vouait une amitié toute particulière à ce jeune homme pourvu de toutes les qualités ainsi que tous les défauts que devait avoir un homme, au regard du duc. D'ailleurs, il se reconnaissait tant en lui qu'il espérait pour ce cadet une semblable, voire meilleure réussite que ce que le destin lui avait réservé jusqu'à ce jour.

— Il paraîtrait qu'il courtise deux sœurs, en tous points différentes, murmura Layemars avec mystère, comme si l'affaire avait quelque chose de surnaturel. L'une est blonde, l'autre rousse ; l'une est taquine, l'autre prude. Il semblerait que l'une ait été davantage formée pour les délices de la chair, tandis que l'autre compense ses modestes apprêts d'une imagination sans failles...

— Eh bien, l'on en dit tant sur Sainte-Aube qu'à vingt ans il fût déjà une légende, rétorqua Boissec avec quelque amertume. Quant à moi qui ai tout vu, tout fait, tout vécu, et qui ai frôlé la mort dans bien des circonstances, je ne suis encore à trente-cinq ans que l'illustre inconnu de la troupe. Quelle injustice, déplora-t-il sans en tenir rigueur à son ami, mais bel et bien déçu de ne pas avoir connu son heure de gloire.

— Vous pouvez bien pleurer, Boissec, railla Layemars, mais il se trouve bien des endroits où l'on sait qui vous êtes. Vous êtes juste un peu plus inquiétant pour que le commun ait le courage d'écouter ou de narrer la somme de vos exploits.

— Pensez-vous donc ce que vous dites ? Demanda le comte avec espoir. Si cela était vrai, vous feriez de moi le plus heureux des hommes !

Une moue grave et affirmative le conforta dans ses espérances ; et cette fois, Boissec était aux anges.

— Je croyais que notre ami courtisait assidument mademoiselle de Rieussec, sa grande amie, et qu'il se trouvait en rivalité avec un bourgeois bien téméraire pour apparaître impunément dans le sillage des gens de noblesse, s'enquit Saint-Adour sans rien entendre pour une fois des affaires galantes de son ami.

— Je crois bien qu'il a séduit deux sœurs, répondit Vielly avec désinvolture, comme si l'anecdote n'était pas un exploit, contrairement aux semblables histoires que pouvait pour son compte rapporter Layemars. Mais il n'en fait pas grand cas... cette affaire s'est conclue prestement, et les jeunes filles ne devaient pas être si attachantes pour qu'il les renie en faveur d'une seule. Il ne tombe pas comme Layemars facilement amoureux.

— Le signe du Gémeaux est de loin mon préféré... avoua ce dernier avec inspiration.

— La Rieussec est d'une imposante personnalité, continua Vielly, douée comme il les aime d'un esprit très fertile, et d'une gorge profonde. Mais je dois avouer que mademoiselle de Rieussec est bien plus que cela... fit-il pensivement. Pour une jeune personne, elle est fort dégourdie, et sait les choses de la vie pour posséder une lucidité qui fait défaut à bien des jeunes de son âge, et de sa condition.

— Voici pourquoi on la destine à quelque important de la cour ? demanda Boissec.

Pour toute réponse et surprenant tout le monde, le baron ne fit que hausser les épaules, observant une désinvolture qui se trouvait être davantage dans les manières de Boissec ou de Layemars.

— En tout cas, il y a là de quoi tirer quelque enseignement, reprit-il avec une certaine malice dans le regard. N'y trouveriez-vous pas votre compte, monsieur le duc ? A posséder plusieurs femmes l'on peut aisément trouver celle qui nous sied le mieux.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now