Chapitre 10

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Chapitre 10

Catherine ne se sentait nullement tourmentée par le remords d'échapper une fois de plus à l'empire de la raison. Nonobstant, elle avait la certitude de pouvoir tout aussi bien se promener sans craindre de commettre quelque erreur qui lui fût répréhensible, et laisser en toute quiétude errer son esprit à la mesure des pas de son cheval ; l'important était d'être dehors, loin de l'humanité et de ses vaines considérations. En pleine nature, elle se sentait unique, bercée par le chant des oiseaux éveillés depuis la prime pâleur de l'aurore. Son cheval respirait calmement, son encolure étendue balancée avec la régularité de ses pas, vaguement intéressé parfois par un bruit provenant d'un lit de fougères, où un petit oiseau sautillait en en faisant danser les hautes feuilles ; et Catherine s'émerveillait de contempler la multitude des tons de cette forêt, toutes les palettes de vert de la nature réunies dans cet écrin sauvage et humide qu'elle avait le privilège de traverser. Elle avait réussi à se rasséréner, et aussi de pardonner à son frère.

Comme elle allait calmement, elle rencontra plusieurs bêtes surprises par sa présence ; quelques passereaux au vol bas, un lièvre, un sanglier. Elle crut même apercevoir sous couvert des bas feuillages de buissons et de fougères la robe flamboyante d'un renard, qui s'enfuit bien vite s'il était effectivement là.

Catherine était sauvage, raison pour laquelle elle se plaisait tant dans la nature. Mais elle était également égoïste. Elle avait à peine conscience de la brutalité avec laquelle ses seules certitudes éprouvaient celles et ceux qui croisaient son chemin. Cette brutalité avec laquelle lors de la chasse elle s'employait parfois à tuer un animal rassasiait au moins sa soif de vengeance à l'égard d'un monde déployé au-dessus d'elle, sur lequel elle n'avait finalement aucune prise. Voir l'animal mourir, voir ternir son œil sauvage excitait ses sens tout en lui procurant la paix. La mort était rassurante, comme la fin d'un acte trop long qui aura éprouvé ses impuissants spectateurs. La mort était un fantasme, s'enorgueillissant à la fois d'inspirer de la crainte à ceux qui la désirent comme l'ultime amante qui les étreindra jamais, et l'horreur sublime d'abandonner son corps et son âme à la noirceur sans fin d'un néant plus pénible que ce que la route des Cieux avait prédit aux plus avertis, et que pourtant l'on réclame, dès lors que l'existence s'avère être un fardeau plus lourd encore que l'incertitude que procure le trépas ; étranges sensations que Catherine n'avait jamais pu comprendre, et qu'elle ressentait plus intensément encore. Et ce jour-là, elle se sentait particulièrement sensible à cette pulsion, ce qui eut pour effet d'accroître sa déception lorsqu'elle eut marché de longs moments sans croiser âme qui vive, comme si cette fois la nature avait tenu à préserver les siens de ce prédateur qui pour l'heure ne connaissait nul égal.

Alors qu'elle chevauchait avec le sentiment que la forêt toute entière demeurait obstinément endormie, Catherine entendit un bruit. Elle écouta attentivement, sentant se fondre tout près d'elle une forme agile dont les petits sabots martelaient le sol avec célérité. Une biche. Elle écouta les sauts de l'animal qui s'enfuyait au loin. Poussant son cheval au trot, elle se mit à tourner la tête de droite à gauche pour inspecter les environs, ralentissant parfois, car elle sentait la bête toute proche ; la jeune femme traquait le faible gibier comme un animal féroce, aux aguets. Elle en ignorait la raison, car elle n'était pas armée. Elle était juste irrémédiablement attirée par l'animal. Par trop excitée, son cœur battait violemment sa poitrine, étouffant les pas de la biche, qu'elle confondait dans la nervosité avec ceux de sa monture. Catherine était trop éprise de ses sens pour penser calmement : elle ne savait d'ordinaire n'user que de ses instincts ; mais à cet instant ils la mettaient en déroute. Lasse enfin de ne pas se mouvoir, elle mit pied à terre. Le contact avec le sol lui faisait le plus grand bien ; le craquement des feuillages racornis s'écrasant sous ses talons acheva enfin de tourmenter ses sens alarmés. Cependant, un tel frémissement de la nature sous ses pas lui faisait néanmoins ressentir d'autant plus intensément son appartenance à ce monde, ainsi que sa propre vulnérabilité.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now