Chapitre 14

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Chapitre 14

Lorsque la nuit du sauvetage de Catherine d'Aubressac fut venue, l'escadron de Saint-Adour se posta à l'orée de la forêt, une arme à la main. Les chevaux peinaient à tenir en place. L'air était lourd et humide, et les cris des animaux nocturnes ajoutaient à l'atmosphère oppressante une note discordante qui ajoutait de l'angoisse aux comparses, qui ignoraient quel était leur ennemi et dans quelle partie de cette dense végétation il pouvait bien se tapir.

— Vous m'avez compris, récapitula Saint-Adour ; restez postés ici. Je m'engagerai seul dans cette forêt. Ne vous y engagez sous aucun prétexte ; quant bien même je ne reviendrais pas.

Boissec, Layemars et Vielly opinèrent avant qu'il entre dans la forêt. Sainte-Aube le suivit jusqu'à la bordure du bois, avant de s'arrêter, se postant plus avant que ses compagnons, avec la détermination de tenir, coûte que coûte. Saint-Adour progressait rapidement dans la forêt grâce à sa vue perçante, parvenant à rassurer sa monture, qui hésitait quelquefois à poursuivre sa marche ; petit à petit, l'atmosphère étouffante laissa place à une brume glaciale qui entoura bientôt le duc ; le cheval se cabra, néanmoins, Saint-Adour sur rester en selle, malgré qu'il fût terrorisé.

Il poursuivit difficilement son chemin, le pouls de sa monture se confondant avec les battements de son propre cœur. Il redoutait surtout de retrouver la silhouette spectrale se tenir dans les branchages, au-dessus de sa tête, mais il ne la vit pas. Les pas de sa monture résonnaient curieusement dans cette forêt qui s'était tue comme si tous ses habitants, jusqu'au plus humble insecte, s'étaient assoupis. Le sol était lourd de terre imbibée d'eau ; l'air était moite et le faisait transpirer, tandis que le souffle glacial lui léchait l'échine et exacerbait les frissons que l'angoisse avait provoqués. Enfin, il parvint à la clairière, où les eaux sombres de l'étang frémissaient par la caresse de la bise. Elle était en cette nuit sans lune d'une noirceur désolante. Il redoutait de voir l'Each Uisge sortir de l'onde ; ce spectacle devait être terrifiant. Il se perdit dans la contemplation de l'eau, qui lui semblait gronder à mesure qu'il se concentrait sur la surface, tourmentée par le vent, ou par quelque autre créature qui en pourrait émerger.

Soudain, à l'entrée, une silhouette lumineuse et blafarde apparut, lui barrant le chemin. Ses grands yeux noirs perçaient sans pudeur le regard de Saint-Adour ; sa chevelure de jais voletant dans le vent prit consistance à mesure qu'elle dansait dans le souffle, et le visage sévère de la femme se fit voir avec davantage de netteté. C'était comme si elle prenait consistance devant lui, comme si elle était née du vent et pourrait disparaître dans un souffle. Sa longue robe noire était salie et déchirée ; elle était pieds nus, mais semblait à peine effleurer le sol.

— Tu es venu, dit-elle. Tu n'as pas oublié tes hommes, même si tu as respecté ta parole.

— Combien de temps vais-je être parti, cette fois ?

— Pour l'éternité, si tu me fâches. La dernière fois, tu as franchi les limites de l'entre-deux mondes ; ici, nous sommes dans le tien. Le temps s'écoule comme tu le perçois.

— Fort bien ; ainsi, je rendrai mademoiselle d'Aubressac d'autant plus vite à sa famille. A présent, dites-moi où elle se trouve. Ne deviez-vous point l'amener à notre rendez-vous ?

— Elle est ici, répondit la créature. Ne la voyez-vous donc pas ?

Saint-Adour mit pied à terre et s'engagea dans la clairière en maintenant fermement les rênes afin que son cheval, fébrile, ne puisse pas s'enfuir. De l'autre main, il tenait fermement son épée, dont la lame luisante disparaissait dans cette obscurité surnaturelle. Il se rendit compte qu'il n'était pas seul. Plusieurs paires d'yeux brillaient autour de lui, tandis que les corps de ceux qui l'observaient demeuraient dissimulés dans la noirceur de la nuit.

Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardisesWhere stories live. Discover now