Chapitre 5
Le domaine de Saint-Adour était une vaste propriété autant enorgueillie de gloire à la mesure des fastes qui s'y déroulaient, pour diverses réjouissances et maints hommages aux amis de la longue famille, qu'elle était accoutumée à vivre jusqu'à une heure avancée de la nuit au rythme de la musique et des jeux dont on se divertissait. Pourtant, c'était désormais au seul duc de Saint-Adour qu'il incombait d'honorer cette tradition, qui eût été réduite à seulement quelques sages soirées par mois par madame sa mère ; car elle éprouvait désormais une grande lassitude à l'égard des convenances du monde, et qu'elle préférait que son château soit vide plutôt que « mal famé », selon ses propres termes adressés à l'encontre de ripailleurs qui avaient eu tôt fait au retour de Saint-Adour de se gausser à la cour et jusqu'aux oreilles de la reine.
Lorsque son époux avait rendu l'âme, treize ans après lui avoir octroyé l'héritage d'un digne fils, elle se trouvait déjà peu encline à recevoir encore au gré de fastes les personnalités de la Cour. Autrefois coquette, ayant l'apanage de la jeunesse et l'assurance d'un port honnête, au défaut d'être beau, elle avait goûté de recevoir auprès de son mari et d'être également conviée à des réjouissances. Son époux paradait en lui prenant le bras, annonçant indiscutablement les desseins qu'il projetait pour son éclat personnel ; et puisque Richelieu le méprisait, il fallait y voir un homme d'honneur, un allié, tout autant qu'un fieffé scélérat qu'il faudrait abattre en temps venu, puisqu'il s'avérerait difficile à orienter le plus loin possible du pouvoir. Madame de Saint-Adour avait fait fi de ces manigances, jusqu'à ce qu'elle apprenne d'un rude enseignement à défendre son titre. Auparavant du jour tragique où elle était devenue veuve, elle avait trouvé son compte à ce mariage avantageux et luxuriant, qui avait porté son nom à la quintessence de l'état de noblesse. Les deux jeunes gens étaient tout à fait assortis pour avoir le même âge, le même orgueil, le désir ardent d'appartenir aux meilleures maisons de France. Cela avait été chose faite. Les époux ne s'aimaient pas, mais leur ego compensait cette faiblesse de cœur. Surtout, ils savaient qu'ils étaient magnifiques ; et les enfants qu'ils feraient seraient offerts à des princes du sang. Hugues Artignac, duc de Saint-Adour avait malheureusement disparu trop tôt. La maison de Saint-Adour s'était ébranlée ce jour-là. Charles-Henri était bien jeune, sa sœur l'était d'autant plus ; et la foule de clients qui avaient juré allégeance au duc et à ses héritiers s'étaient détournés, n'y trouvant plus leur compte. D'autres heureusement étaient restés ; mais ils avaient demandé beaucoup en retour de leur fidélité. Le plus opiniâtre d'entre eux avait obtenu pour son fils la cadette de la maison. Il n'était pas prince, à vrai dire d'une naissance modeste. Ainsi, peu à peu, de concessions en prestige de justesse sauvé, les plus grands rêves de la maîtresse des lieux avaient commencé à s'étioler. Les prétendants furent également nombreux à tenter de séduire la veuve ; et lorsqu'elle fut lasse de recevoir ces courtisans, au demeurant semblables à celles et ceux de Paris qui n'avaient jamais été des amis, ni même de si grands alliés, elle renonça sans regret à la vie dans le monde. Son fils en grandissant fut source de fierté. Ses humanités lui avaient permis d'apprendre l'art de la guerre, qu'il avait su parfaire sur les champs de bataille. A vingt ans, il était un héros. A vingt-cinq, il avait remis son titre en jeu, car il aimait beaucoup jouer, et disputait les livres par centaines autant que son statut d'homme de guerre, car il était hardi en toutes choses, y compris dans les jeux d'alcôve. Cependant, à trente ans, il peinait désormais à demeurer sur le devant de la scène. Sa dernière campagne avait été un échec, et davantage pour lui que pour la Couronne, qui estimait pourtant que son honneur était sauf. Qu'importait-il au roi du Sud de se faire saluer par le roi de Paris ? Si son ego avait été battu, son orgueil revenait au galop le hanter et le prier de s'améliorer encore.
Il tenait beaucoup de son père sans avoir eu assez de temps pour le connaître. La maison de Saint-Adour n'avait pas à rougir de cette relève aux multiples qualités. Mais s'il était vrai qu'un homme tel que lui pût être remarquable, il ne pouvait cependant s'avérer vertueux. Les banquets auxquels il se rendait ressemblaient en tous points aux débauches de son père, que sa mère avait toujours abhorrées. Et même si le patriarche avait été rappelé aux Cieux emporté par un boulet de canon, alors qu'il chargeait à cheval les lignes ennemies de Flandres, madame de Saint-Adour mettait le jeune duc en garde, « qu'à force de débauches et de gourmandise exacerbée par une soif d'ivrogne jamais épanchée, de nuits presque entières à ne point fermer les yeux, le jeune Saint-Adour finirait comme son père ». Le duc en effet, bien que salué pour ses talents, commençait déjà de pâtir de la goutte, et l'embonpoint l'aurait guetté tantôt s'il n'était tombé comme un héros à l'âge vénérable de trente-trois ans. Un tel sacrifice d'un si bel homme, disaient certaines mauvaises langues, avait forcé l'admiration de tous et rendu service à son auteur. C'était avec un souvenir incertain que le jeune Saint-Adour avait tenté de se révéler digne de son père, en tentant toutefois d'éviter ses défauts. Il commençait néanmoins de ressembler au fieffé débauché qui insupportait tant madame. Mais il ne s'avérait pas aussi gai que son père. D'ailleurs, ses amis proches doutaient qu'il eût un jour découvert le bonheur. Et même dans le vin la vérité peinait à s'exprimer.
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...