Chapitre 15
Madame la duchesse, pétrie d'inquiétude, étudiait par de brefs regards l'expression qu'arborait son fils, assis en face d'elle. En d'autres occasions, elle aurait pu s'avouer fière de le voir paré du sourire insondable seyant à évoluer dans le monde sans jamais rien laisser paraître de sa nature profonde ; mais enfin, à cet instant, elle aurait préféré qu'il laisse transparaître ses sentiments ; à moins qu'il n'eût rien alors à exprimer. Mais elle le connaissait bien trop pour songer ne serait-ce qu'un seul instant qu'il n'eût point de tourment à dissimuler derrière ce sourire qui n'en était pas vraiment un. Depuis que leur équipage avait quitté le domaine de Saint-Adour, Charles avait affecté de se montrer d'humeur égale, serein ; mais la vérité était tout autre : l'accident de la jeune Larroque ravivait de bien pénibles souvenirs, et il redoutait d'avoir à reconnaître sur son corps inerte les stigmates laissés par le Malin. Néanmoins, Sainte-Aube lui avait assuré qu'il ne s'agissait pas d'un démon. La dernière fois qu'il avait pu la contempler, c'était lorsqu'il la veillait ; cette nuit demeurait précieuse à son souvenir. Elle avait été renversée, puis piétinée, mais n'avait conservé aucune marque des coups que lui avait porté l'abjecte créature. « Pauvre enfant », songea-t-il tandis que sa mine se faisait plus maussade. Il ne prenait plus garde à se montrer tranquille, ni même stoïque, malgré ses intentions de le paraître ; et sa mère décela cette faiblesse. Elle se permit donc de lui poser des questions, ignorant qu'elle augmentait son trouble.
— A quoi songez-vous, mon fils ? lui demanda-t-elle en scrutant désobligeamment son visage.
— Mère... soupira-t-il ; permettez que je garde l'essence de mes pensées pour moi seul.
— Pourtant cela ne vous réussit guère, de rester silencieux à ruminer vos réflexions, rétorqua-t-elle avec impatience. Allons, quelles sont-elles donc ? Je ne puis souffrir que vous demeuriez affligé ! Comprenez-moi ! La seule chose que je souhaite, c'est votre bien-être ! Cela est bien tout ce qu'une mère désire pour son fils.
— Alors je vous en prie, la contra-t-il, tandis qu'il la trouvait bien moins persuasive que ce qu'elle s'était imaginé ; laissez-moi. Je ne puis vous parler je ne puis... trouver moi-même les mots...
Las enfin de devoir exprimer l'indicible, il se mit à soupirer plus profondément encore ; puis il laissa errer son regard par la vitre du carrosse, en tâchant de faire le vide dans son esprit.
Sa mère était fort fâchée d'être ainsi éconduite, jugeant que son fils était un malpoli et qu'il était revenu décidément bien changé de sa dernière campagne ; mais elle n'ignorait pas que les choses de la guerre étaient d'une rudesse et d'une cruauté qui parfois transformaient même les hommes les plus méritants en êtres farouches et mutiques. Le plus bas homme du peuple ne devenait-il pas une bête violente, haineuse, estropiée dans sa chair et dans son humanité ? Malandrin, coupe-jarrets ; n'était-il pas au moins un larron vindicatif, et rebelle jusqu'aux tréfonds de sa misère quotidienne, une fois rompu à l'exercice de la guerre et revenu à la vie civile d'autant plus pauvre et brisé qu'il l'avait été avant de partir pour le front ? Si, bien sûr, et l'horreur de cette existence chaotique n'épargnait personne, pas même un soldat autant gradé que Charles. Cette idée, loin de la réconforter, la rasséréna pour le moins. Mais elle regrettait bien une si fâcheuse situation.
— Au moins, n'eussé-je pas à déplorer la mort de mon fils, dit-elle pour elle-même, mais hélas d'une voix trop puissante pour que Charles n'en prenne pas ombrage. Pourtant, vous me paraissez éteint, aussi éteint que peut l'être un corps dépourvu de toute vie... je ne vous le reproche en rien, l'assura-t-elle, néanmoins sans trop y croire, mais j'en suis tout de même fort déçue...
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Immortalem Memoriam - Livre Premier - Le cabinet des mignardises
FantasyBonjour à tous, lecteurs, lectrices, Je vous soumets le premier tome d'une saga que j'ai développée depuis plus de six ans. Le premier livre présente Catherine d'Aubressac, jeune noble sortie du couvent, réfractaire à l'idée de suivre la destinée qu...