Chapitre 7

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La façon dont Lance fixait son écran noir commençait à sérieusement irriter Keith. Ils étaient rentrés il y a une heure tout au plus, et presque immédiatement, il avait prêté le chargeur de son téléphone pour permettre à Lance de redonner vie au sien. Lance l'avait branché et depuis, ne cessait de le fixer, ou de lui jeter des coups d'œil incertains. Il repoussait le moment où il devrait allumer l'appareil, Keith le savait pertinemment et malgré toute la délicatesse dont il voulait bien faire preuve, ce genre d'hésitation l'avait toujours énervé. C'était comme si Lance s'amusait à jouer de la guitare avec ses nerfs, grattant les cordes et le rendant de plus en plus frustré de le voir indécis ainsi. Il n'arrivait pas à réviser pour son concours, ni même à lire quoi que ce soit.

Finalement, après encore cinq immensément longues minutes, durant lesquelles l'aile gauche de Keith ne cessait de tiquer dans un mouvement nerveux, le milan se leva pour aller s'emparer du téléphone et l'allumer lui-même. Il le reposa devant Lance, sur la table basse, avec finalité, tandis que la pie écarquillait les yeux d'affolement.

-Tu ne vas pas le regarder pendant cent sept ans, dit Keith en venant s'asseoir à côté de lui

Lance fixa un instant l'écran qui s'éclairait de nouveau depuis si longtemps, avant de se tourner vers Keith, une demande en tête, sans oser la prononcer. Ses ailes étaient serrées nerveusement dans son dos, ses mains tordaient les bords des manches de son pull et un réflexe nerveux faisait passer rapidement son regard de son téléphone, à Keith, pour revenir sur son téléphone. Il allait ouvrir la bouche, mais finalement, Keith parla le premier.

-Tu veux que je te laisse tout seul ? devina-t-il facilement.

Lance expira, de soulagement et de reconnaissance, avant de hocher timidement la tête, la tête basse.

-Je serai dans ma chambre.

Il n'y avait aucune amertume dans la voix de Keith, comme Lance s'y était attendu et préparé. Non, son ton n'était ni sec, ni acide, ni plein de reproches. Simplement annonciateur, informatif et empli d'une douceur qui laissait le « si tu as besoin de moi » en suspens dans l'air. Lance ne le vit pas s'emparer de son ordinateur portable et de ses écouteurs, concentré sur l'écran de verrouillage qui s'affichait enfin. Premier crève-cœur. Le fond d'écran n'était autre qu'une photo dont Lance pouvait se rappeler le contexte en détail. Le souvenir était frais et presque tranchant dans sa mémoire, à la fois réconfortant et douloureux. Ils étaient en période d'examen ce jour-là. Il y a deux ans plus ou moins, en juin, durant la semaine qui précédait les derniers examens, ceux qui détermineraient si les élèves passaient au niveau supérieur ou non. Cette semaine était toujours drainante, autant physiquement que moralement. Les élèves révisaient à toute heure de la journée, sous le soleil, la lune, la pluie ou même la grêle si cela avait dû se passer ainsi. Plus aucun ne dormait, tous fonctionnaient presque exclusivement à la caféine. Durant ces périodes, Lance ne prenait même plus la peine de diluer son café avec du lait chaud. Non, il le buvait d'une traite, sans rien ajouter, et souvent froid parce qu'il l'oubliait sur le côté, plongé qu'il était dans ses révisions. Et cette année n'avait pas fait exception. On pouvait le voir aux nombreuses tasses en carton vide éparpillées sur la table, au milieu des cahiers, manuels, classeurs et feuilles volantes. Une tasse neuve fumait à côté du cahier devant la place de Lance, un café que le garçon avait souvenir n'avoir bu que deux heures plus tard. Des cernes ornaient le dessous de ses yeux, si profonds et sombres qu'on aurait pu penser qu'ils faisaient à présent partie interne des traits de son visage. Il n'avait pas dormi depuis deux jours et demi cette fois-là. Mais malgré la fatigue, les révisions, la tête pleine de calculs, Lance restait Lance. Et il avait décidé que prendre une photo à ce moment-là était une bonne idée. Il avait levé son téléphone, caméra avant enclenchée. Pidge et Hunk, derrière lui, n'étaient pas dans un meilleur état. Ou du moins, Pidge semblait un peu plus fatiguée que d'ordinaire. Tout le monde avait pris l'habitude de voir la jeune femme avec des cernes presque constants sous les yeux. Mais là, elle n'était même pas coiffée, ses cheveux courts partant en tous sens et donnant l'impression qu'elle venait à peine de se lever alors qu'elle n'avait pas dormi correctement depuis plusieurs jours. Elle portait un immense sweat marron, volé à son frère, qui la faisait paraître encore plus petite et frêle qu'elle ne l'était déjà, ses ailes de moineau si jolies presque entièrement cachées par les plis du tissu épais.

Étends tes ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant