Chapitre 9

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Le lendemain, Shiro refusa catégoriquement que Keith ne travaille pas une fois de plus, et s'il devait être honnête, Keith dirait que c'était surtout l'insistance de Lance qui l'avait convaincu. La pie non plus n'aimait pas qu'il sacrifie ainsi ses journées de repos pour lui, et puisque la météo s'annonçait clémente, Keith avait cédé. C'est ainsi qu'il se retrouva de nouveau dans le parc, à débiter son texte à une bande de touristes qui ne comprenaient sans doute même pas la langue qu'il parlait. Cosmo avait, comme à son habitude, disparut dans des buissons quelque part pour creuser des trous et essayer d'attraper quelques souris, sans jamais beaucoup de succès. Et Lance était là aussi, emmitouflé dans le vieux manteau de Keith, un sandwich à la main. Les visites guidées des endroits les plus propices pour apercevoir des renards ailés ne duraient pas longtemps, seulement une vingtaine de minutes, et c'était déjà la cinquième fois que Lance entendait son discours, sans compter le lundi précédent. Keith se demandait comment il parvenait à supporter cela surtout qu'il avait conscience qu'il n'était pas très bon dans ce qu'il faisait. Mais Lance était toujours là, à l'écouter déballer ses informations d'un ton monotone, lui souriant dès qu'il croisait son regard. L'après-midi que Lance avait passé avec Hunk la veille semblait avoir fait des miracles, plus que tout ce qu'avait pu faire Keith, et Lance ne cessait de sourire, plaisantant même parfois. Mais malgré l'immense joie qu'il ressentait de voir Lance ainsi à l'aise, Keith ne pouvait empêcher un sentiment maladif d'appréhension et de jalousie brûler dans son estomac. Hunk avait réussi à faire plus que lui en un laps de temps si réduit, et même si Keith avait bien conscience que c'était idiot, il ne pouvait s'empêcher de trouver cela incroyablement injuste. Pendant des mois et des mois, Lance avait été seul, coupé du monde et piégé avec ce Lotor détestable. Et personne, pas même sa famille, n'avait cherché à comprendre. Il n'avait pas tous les éléments, mais de son point de vue, Lance avait été complétement abandonné par ses proches aux serres de Lotor et maintenant que Keith l'en avait tiré, Hunk revenait en prétendant être inquiet et heureux de revoir son ami. Une sensation de brûlure lui retournait toujours l'estomac lorsqu'il pensait à cela, comme si un puissant acide s'en prenait à sa chair, et Keith évitait de s'attarder trop longtemps sur ce chemin de pensée. Il se concentrait plutôt sur Lance, et sur tout le chemin qu'il avait parcouru lui, depuis ce soir où un jeune homme en pleurs était venu lui demander de l'aide pour se cacher.

-Excusez-moi ? Monsieur ?

Keith sortit de ses pensées et se tourna vers la femme qui l'avait interpellé. À juger de son expression, cela faisait un moment qu'elle l'appelait. Keith ne se sentit pas même coupable.

-Oui ?

-Vas-y, ma chérie.

La femme poussa devant elle une petite fille, dont le duvet des ailes était presque entièrement ébouriffé de gêne. Elle jeta un coup d'œil à sa mère, qui hocha la tête d'un signe encourageant, avant d'adresser un regard hésitant et timide à Keith.

-Est-ce qu'on va pouvoir voir des nids de renards ? demanda-t-elle finalement.

Keith sourit, parce que les enfants étaient toujours beaucoup moins pénibles que les adultes. C'était sans doute une des raisons (bien en-dessous des horaires et du salaire, mais une raison tout de même) qui poussaient Keith à ne pas démissionner pour trouver un nouveau travail ailleurs, moins ennuyeux. Répondre aux questions si innocentes des enfants et se sentir réellement écouté quand on répondait était plus agréable qu'entendre les adultes maugréer à cause du froid, de l'humidité qui gonflait leurs plumes, et des renards qu'on ne voyait jamais.

-Les renards ailés ne font pas de nid, expliqua Keith. Ils s'installent dans des troncs creux, comme les écureuils. Si tu regardes bien sur les arbres, tu verras peut-être d'anciens trous.

Étends tes ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant