Chapitre 22 [Bonus : Elizabeth Tomassella]

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QUARANTE-SIX ANS PLUS TÔT

//JOURNAL D'ÉLIZABETH TOMASSELLA\\

*28 décembre 799*

Cher Journal,

Après six jours passés dans le coma, suite à son duel contre Vitany, un Métamorphomage du Sang complètement fou à lier qu'elle avait réussi à mettre hors d'état de nuire (et de manière définitive) en utilisant ses dernières forces pour l'empiler dans des barres de fer qui sortaient d'un mur non loin de leur lieu de combat (ce monstre ne pourra plus nous nuire), maman a finalement ouvert les yeux. Elle était encore très affaiblie. Ses blessures étant critiques, les médecins ne pensent pas qu'elle vivra assez longtemps — pas jusqu'au Nouvel An. La nouvelle a été rude. Je me suis sentie faillir ; j'ai dû me retenir au meuble le plus proche pour ne pas tomber. Mon corps tout entier tremblait.
Au fond j'éprouvais des craintes, mon instinct me trompait rarement. Et il est doublé par tous mes sens de Métamorphomage de la Glace ! Néanmoins, j'aurais — sincèrement — préféré me tromper sur toute la ligne.
A 22 ans, on ne pense pas à la mort et aux démarches concernant l'enterrement. On est encore insouciants et sans expérience de la vie, on la croque à pleines dents sans nous demander ce qui se passera le lendemain. Mais quand ça te tombe dessus sans prévenir, je peux garantir que la chute fait mal. Extrêmement mal.
Je ne supporterai pas de perdre ma mère une seconde fois !
Ça fait à peine un an et demi que l'on s'est retrouvées, au début de ma vingt-et-unième année, parce que des nobles vivant dans le Mur Sina l'ont retenue prisonnière pendant douze ans. J'avais 9 ans quand maman avait disparu ; j'avais dû me débrouiller pour survivre et enquêter discrètement, une partie de moi étant persuadée qu'elle ne serait pas partie comme ça sans me donner de nouvelles. Mon cœur se serrait rien qu'en imaginant que ma mère — celle que l'on surnomme « Main de Fer » dû à sa maîtrise du Métal, héritée de son propre père, Elias Kyoko, le « Guerrier de Métal » — puisse vivre ses derniers instants...
Elle, Charlotte Kyoko veuve Tomassella, qui possédait une véritable santé de fer et ne tombait donc jamais malade.
Elle, qui s'était battue avec acharnement pour vivre en cachant ses origines d'ange guerrier.
Elle, qui malgré les tortures physiques et psychologies douze ans durant, résistait à ses tortionnaires et concoctait en secret un plan d'évasion. Elle n'avait pas froid aux yeux pour tenir tête aux personnes responsables de son état de santé.
Son fort de caractère l'avait sauvée de la Mort.
Hélas ! cette fois-ci, son combat contre Vitany l'avait grandement diminuée. Et ce n'étaient pas ses anciennes blessures qui étaient la cause de son salut...

*
*   *

Après la réunion des soldats de la Garnison stationnés à Trost, Dot est venu me trouver. Je faisais les cent pas dans le couloir de l'infirmerie où reposait maman.
Dot Pixis est mon ami d'enfance, il est entré dans la Garnison sept ans et demi auparavant, après avoir fait les Brigades d'entraînement. J'adore son excentricité qui faisait de lui un personnage à part. Pourtant, c'est un stratège capable d'évaluer la situation, et un leader efficace qui sait garder son calme même au milieu du chaos. Il est aussi digne de confiance, car il est le premier à qui j'ai révélé mes origines de Métamorphomage. Et la persécution de mon clan depuis la construction des Murs. En dépit de cela, cependant (et malgré mes craintes), Dot ne m'a jamais repoussée ; il me protégeait des personnes malintentionnées. Notre amitié d'enfance n'en a donc jamais pâti.
Il y avait aussi Caroline Matthews, une autre amie aveugle de naissance qui vient également de Yorkshire, mon village natal, situé dans le Mur Maria, et Maru Hobbs, rencontrée au pensionnat, qui sont au courant de mon statut. Elles me soutiennent en cas de besoin, et savent tenir leur langue. C'étaient des amies fantastiques.
Quand Dot m'a accostée pour me parler en privé, j'ai tout de suite deviné, rien qu'en posant mon regard sur son visage, que quelque chose n'allait pas.
Je n'avais encore jamais vu mon meilleur ami contrarié et mal à l'aise. Et ce n'est pas à cause de l'inquiétude vis-à-vis de la santé de ma mère.
- On vient d'apprendre une nouvelle terrifiante, a-t-il déclaré d'une voix blanche que je ne lui connaissais pas.
- Quel genre de nouvelle ? ai-je demandé, inquiète.
- Cela concerne la famille de Vitany, le clan des Métamorphomages du Sang. Du moins les derniers membres de ce clan.
J'ai dû tirer une drôle de tête (allaient-ils venger ce tueur, autrefois un fils, un mari et un père de famille, qui avait lui-même été abattu par ma mère ?), car Dot m'a tout de suite rassurée en disant :
- Ne te fais pas de mouron, Elizabeth, ils n'auront pas l'occasion d'assouvir leur vengeance.
Je poussai un soupir de soulagement. Dot a dû rassembler son courage pour m'expliquer.
- Le gouvernement Intra-Muros a découvert les origines de Vitany et ses proches, quelques temps avant son duel contre ta mère, a-t-il dit. C'est la raison pour laquelle les politiciens ont attaqué et tué les derniers Métamorphomages du Sang. Je trouve ce comportement vraiment inhumain, et au vu de ce que tu m'as raconté sur la persécution de ton plant depuis la construction des Murs, les nobles doivent craindre quelque chose pour souhaiter la mort de tous les Métamorphomages. Cette façon de penser et d'agir n'est pas digne de ce que l'on pourrait attendre de la noblesse. Tu sais comme moi que ce genre de personnes est prêt à se faire de l'argent sur le dos du petit peuple, en échangeant des pots-de-vin contre des « services », pour se débarrasser en toute impunité. Pour parler franchement, je n'ai jamais compris pourquoi ils veulent tant voir disparaître les Métamorphomages, s'ils les détestent tant.
- Je n'en sais pas plus que toi, Dot, ai-je soupiré en passant la main dans les cheveux. Elias Kyoko, mon grand-père, n'a jamais rien révélé à ma mère — seulement qu'il fallait se méfier de cette « mauvaise graine », comme il disait. Il était devenu à moitié paranoïaque. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il y a eu un truc qui s'est passé entre mon clan et la Couronne, et que les miens ont tourné le dos à cette dernière pour ça. D'où la raison pour laquelle la famille royale craint ma famille ; elle doit penser que l'on est au courant de quelques secrets de polichinelle.
- Mais qu'est-ce qui ferait autant peur aux nobles pour vouloir la mort de ton clan ?
Cette question, je me la suis posée à de très nombreuses reprises. Les anges guerriers n'ont pourtant rien à se reprocher. C'est ridicule, on est considérés comme les « Protecteurs de la Justice et de l'Humanité », et respectés pour notre sagacité et notre perspicacité. Alors je ne voyais pas pour quelle raison la famille royale souhaitait notre mort... Ni pourquoi les nobles nous craignent autant, depuis ce désaccord en 743.
J'ai beau m'interroger, aucune explication logique ne me venait à l'esprit.
Qu'avions-nous bien pu faire pour subir de telles discriminations ? Au même titre que les clans Ackerman et asiatique ? Qu'est-ce qu'on a fait au gouvernement ?
Une question me brûlait les lèvres, mais je n'arrivais pas à la prononcer. C'était par rapport au sort subi par les derniers Métamorphomages du Sang — la famille de Vitany. Une question qui finit par sortir du fond de ma gorge :
- De quelle manière les nobles ont-ils assassiné les proches de Vitany ?
Dot comprit ce que j'attendais comme réponse, mais hésita. Il ne savait pas comment me l'annoncer sans que je sois horrifiée ou dégoûtée.
- Ils ont engagé des hommes de main pour prendre la famille de Vitany par surprise, et leur fracasser le crâne avant qu'elle n'ait le temps de réaliser ce qui arrive. Puis ils ont brûlé tous les corps.

« [Tome 1 SNK] On ne sait jamais ce qu'il peut nous tomber sur la tête ! » (FIN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant