Part 36 : Sophisme

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Nous sommes d'accord pour dire que l'appétit nous a quittés. Je n'ai jamais autant fait appel à mon self-control pour me maintenir en place. Il faut dire que mon estomac ne supporte pas la vue du sang pâteux coagulant qui s'écoule lentement du corps meurtri devant nous.

Et dire que ma formation devait me préparer à tout...

Je note le teint verdâtre de mes partenaires de route. Nous nous dévisageons, conscients que si nous ne faisons rien, nous sommes complices.

Comment réagir ? Nous devons la laisser là, seule, misérable, indigente alors qu'on nous dirige solennellement vers une autre salle.

C'est déchirant.

Un silence macabre nous accompagne. Je dois dire que ce genre de situation rapproche. Face à cet atroce féminicide, notre haine, notre tristesse s'est recentrée sur un seul et même homme : Larcen.

Immonde, tordu, infâme, obscène, répugnant personnage, les mots ne manquent pas pour le définir.

Nous montons une petite marche et accédons à une pièce aux murs sombres qui fait office de salle de réunion militaire. La lourde porte qu'on ferme derrière nous semble insonorisée du reste du bâtiment. Deux rangées de table se font face. Seulement trois sièges sont disposés face aux six hommes, surement destinés aux Sentynels.

J'étouffe.

C'est ridicule... Tout ça est ridicule. S'asseoir. Manger. Lui parler comme si de rien n'était.

— Surtout ne vous éloignez pas. Je vous conseille de vous pisser dessus plutôt que de sortir d'ici, nous souffle Deneb qui invite les filles à aller chercher les chaises entassées au fond de la salle.

Elles sont aussi tétanisées que moi, comme si nous allions partager notre repas avec le diable lui-même.

Le bruit des pieds de chaises qui grincent sur le sol me font dresser les poils sur la peau. Je suis tendue, usée, sale, fatiguée. Je ne vois pas le bout de ce calvaire.

Je me sens telle une poupée de chiffon qu'on manipule à sa guise.

Thènes m'incite à m'asseoir et prend place à ma gauche. Deneb choisit la chaise à ma droite. Seul Aden reste debout, s'adossant au mur derrière ses deux amis.

Bras croisés sur la poitrine, je constate qu'il fixe le vide, l'expression toujours voilée d'obscurité.

Le roi des porcs pénètre la salle et s'installe à la longue table qui nous fait face sur la chaise libre entre ses compagnons. Même l'espace entre nous ne semble pas suffisant, savoir qu'il respire le même air que moi le rend suffocant.

Une fois, tout le monde assis, un silence pesant s'installe. Nous nous toisons. J'ignore pourquoi six hommes mutiques sont nécessaires. Larcen aurait bien pu être seul. Si l'un des Sentynels avait voulu sa mort, il serait déjà en train d'agoniser. Ce que je regrette profondément.

Une odeur de cochon grillé s'élève. Ça sent très bon, je le reconnais. Mais, il peut se masturber longtemps s'il pense que je mâcherai un seul produit provenant de sa cuisine. Plutôt mourir de faim.

Trois femmes finissent d'installer les verres et les carafes d'eau. Leurs regards s'accrochent au sol comme le feraient des serfs asservis.

— Ces femmes sont-elles compensées d'une façon ou d'une autre ? s'enquiert Deneb qui instaure le dialogue.

Je suis sciée par son attachement à entretenir la conversation.

— Elles sont soumises à des lois, répond Larcen avec indifférence, comme si le sujet l'ennuyait profondément.

Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant