La voie du Clair-Obscur

Amitiel - I

Le jour où je la rencontrai, l'orage grondait à l'extérieur de la taverne où j'avais élu domicile. On m'avait confié comme mission de tuer le démon Balam. Il sévissait dans ce port maritime en passant des accords avec les marins. En échange de leurs âmes, les marins se voyaient offrir l'éternité. Leurs noms resteraient gravés dans la légende. Bien sûr cela ne se passait pas comme promis. C'est pour cela que les Anges m'avaient envoyés ici.

Les anges et les démons étaient en guerre pour dominer la Terre. L'enjeu possédait le plus d'âmes humaines possible. Je descendis de ma chambre et allai m'asseoir au bar, face au miroir. Dans un coin de la taverne des marins discutaient. Je devais mener l'enquête pour trouver Balam. Les marins se turent soudainement. Leurs visages, à moitié éclairés par la lumière des bougies au-dessus d'eux. Quelque chose de malsain émanait de leurs regards.

Au fond, dans l'obscurité, je pouvais apercevoir une forme indistincte. Les marins s'avancèrent dans la lumière. Dans leurs yeux ne se reflétait plus leur âme. Leurs visages étaient en lambeaux. Des morceaux de chair dégoulinaient. Leur œil invisible jusque là, pendait en dehors de son orbite. Ils n'avaient plus rien d'humain. Ils eurent un rictus écœurant d'avidité. Même loin d'eux on pouvait sentir leurs haleines putrides. La forme, non loin des marins, laissa transparaître des griffes faites pour vous lacérer le corps et des dents aiguisées pour vous sectionner la jugulaire. Elle s'enfonça dans l'obscurité de cet escalier que j'avais pris plus tôt. Balam.

Soudain, le démon disparut et l'orage avec lui. Je regardai en direction du toit, un vitrail laissait voir les étoiles dans le ciel. Quand je baissai le regard, les êtres sans âmes avaient disparu, eux aussi.

Derrière le comptoir, dans le miroir, une jeune femme fit son apparition. Elle était d'une beauté à couper le souffle. Jamais je n'avais vu une telle femme. Elle avait de longs cheveux blonds bouclant délicatement sur ses frêles épaules. Une tresse décorée par des bijoux d'or ornait sa chevelure. Elle portait une armure de guerrière romaine. Du cuir et une côte de maille recouvraient sa tenue. Son regard d'un bleu glacial me fit frissonner. Elle arborait une cicatrice sur son œil gauche. Elle s'avança près de moi et prit la chaise à mes côtés. C'était elle, celle avec qui je devais m'allier pour combattre Balam.

Soudainement, les étoiles se mirent à luire quand une comète transperça le ciel. Mon regard se détourna de la belle pour se porter sur la voûte céleste. Cette comète me rappela mon ascension. L'été où je perdis mon humanité.

L'an 995 après Jésus-christ, la guerre civile faisait rage en Norvège. Le noble et fort viking qu'était Olaf Tryggvason tentait de christianiser le peuple. Je faisais partie de ses plus féroces vikings, on représentait l'ordre et l'équilibre. J'avais déjà vécu plusieurs pillages et batailles.

Mon seul mot d'ordre était de ne tuer que ceux le méritant. La vérité et l'honneur étant mes principes. Notre groupe d'élite se reconnaissait par le tatouage qu'on arborait fièrement sur l'avant-bras droit, la rune Dagaz : L'ordre et l'équilibre comme ligne de conduite.

C'est lors d'une de nos quêtes pour instaurer la paix que je mourus. Un enfant pris dans la mêlée. J'avais accouru pour le protéger. Il survécut, moi non. À ce moment-là, le temps se figea, j'entendis des voix.

- Noble Odd Syversen, ta valeur a été reconnue. Nous t'offrons une seconde chance. Dirent les voix.

Puis l'obscurité m'enveloppa.

Par la suite, je me réveillai sur une roche au milieu des étoiles. Elles luisaient de mille feux, je pouvais apercevoir la terre entourée par le serpent-monde, Jörmungandr. Je pensais rêver, je ne donnais que très peu de crédit aux mythes et légendes. Je perdis connaissance de nouveau lorsque la comète s'écrasa au sol.

Quand je me réveillai, d'énormes ailes d'aigles d'un noir profond m'entouraient. Mes ailes.

Ainsi fut mort Odd Syversen, le viking. Et ainsi naquit Amitiel, l'ange de la vérité.