Malu - II

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L'orage grondait à l'extérieur de la taverne. La pluie formait des ruisseaux courant le long des rues. Je devais m'abriter. La capuche de ma cape rabattue sur la tête, je courus à la taverne. En rentrant, je sentis une odeur omniprésente de souffre. Sûrement un démon qui faisait des affaires avec les marins du coin. Cela m'importait guère. Les êtres humains étaient cruels, ils ne méritaient pas ma pitié. En montant à l'étage pour aller me changer et me sécher, une autre odeur m'interpella. Je ne connaissais pas cette odeur. Je n'y prêta pas plus d'attention.

Je redescendis et vis qu'un homme était assis au bar. Il était grand et possédait une forte carrure de guerrier. Ses cheveux et sa barbe, que je voyais à travers le miroir derrière le bar, étaient bruns. Des tresses ornaient ses cheveux et sa barbe. Mon regard croisa le sien dans la glace. Ses yeux étaient marrons. Un bel homme. Sa tenue me rappelait les guerriers vikings décrits dans mes livres sur les Nordiens. L'odeur inconnue semblait venir de lui. Je m'avançai vers lui, il était seul dans l'auberge.

L'orage précédent avait fait ressurgir quelques souvenirs. Le bruit assourdissant continuait de résonner dans mon esprit, comme encore présent, la tête me tournait. Une vision m'assaillit, celle d'une chouette de neige au milieu d'un bosquet aux fleurs automnales. La pluie ruisselait le long des feuilles de l'olivier sacré, la lumière se reflétant dans chaque goutte d'eau. Au delà de la forêt, les Alpes enneigés surplombaient de toute leur hauteur le bosquet. Une femme en robe blanche maculée de sang priait au pied de l'olivier, des larmes lui coulant le long du visage. Cette vision du passé fit monter en moi un chagrin terrible.

Je ne pouvais plus aller me réfugier dans le bosquet sacré. J'avais subi une vengeance qui ne m'était pas destinée et j'en payai le prix chaque jour où la lune se lève. Ce prix était pour mon Maître au sein des Clair-Obscur. Puissant groupe d'élite pratiquant la sorcellerie.

Le peuple nous haïssait, nous qui sommes nés dans la bonne classe sociale et par ce fait pouvait s'élever plus haut, au sommet. Notre Ordre des Clair-Obscur pratiquait régulièrement des sacrifices pour ceux ayant les moyens de nous payer. Ils voulaient être plus riches ? On leur donnait la richesse, moyennant de l'or et deux trois esclaves sacrifiés.

Au sein de notre groupe, nous avions les Maîtres au sommet de la pyramide, ceux qui donnaient les ordres et qui participaient au banquet royal. Les Érudits, grands savants en matière de magie. Ils s'occupaient entre autre de former les prochains Maîtres ou Érudits. Les prodiges, quant à eux, étaient des enfants avec des dons pour la magie, les élèves. Et puis, il y avait nous, les Garanties. On avait des dons spéciaux mais on ne faisait pas partie de la même classe sociale. On n'était ni pauvre, ni riche. A cause de nos origines sociales, on était considéré comme inférieur aux prodiges et supérieur au reste du peuple. Seuls quelques uns parmi nous, les meilleurs,pouvaient espérer passer au rang supérieur dans l'Ordre.

La sélection se faisait chaque année en Automne. Un jour avant le solstice d'Hiver. Après plusieurs épreuves, une poignée de prodiges et de garanties, seulement, se voyaient octroyer le grade supérieur.

Je faisais partie des sélectionnés, il y a deux ans en l'an 826 après Jésus-Christ. Mais mon épreuve n'avait pas eu lieu. Le peuple ne voulait plus être esclave des manigances des grands de la cité. Lors de la traversée de Rome, notre carriole se fit projeter sur le côté, la cohue des mendiants était assourdissante. La foule nous attaquait, nous bousculait. On essayait de fuir mais dans le tumulte de la rue, un inconnu me mordit. Ses yeux ne reflétaient rien d'humain. De la sauvagerie, c'est tout ce que je percevais. Il avait un rictus de satisfaction. On put se réfugier dans un parc empli de fleurs, les dernières d'Automne. Le regard et le rictus de l'inconnu m'inquiéta tout le reste de la soirée, la morsure me tiraillant.

L'épreuve était annulée pour cette année, les dernières heures du jour se terminant. On ne pouvait participer qu'une fois par année. C'était la tradition de l'Ordre, remontant à des temps anciens. Il me fallait encore attendre une année pour faire mes preuves. Je sentais comme une bête prendre place en moi. De la colère, non, de la rage emplissait mes pensées. C'était la pleine lune et je mourrai d'envie d'aller hurler sous les lumières de celle-ci. Je regardai vers la table de la bibliothèque, un livre rassemblant les mythes et légendes était posé dessus, ouvert sur le chapitre des Lycanthropes. Mon Maître m'avait donné comme instruction de réaliser une étude discrètement sur eux.

La douleur de la blessure faite par l'inconnu était insoutenable, je devais prendre l'air absolument. Mon cœur battait la chamade, mes os me faisaient souffrir. L'impression que mon corps se brisait, grandissait, que mes os se déformaient, était horrible. Ma respiration était haletante, des gouttes de sueur coulaient le long de mon front. Je sortis malgré l'orage grondant à l'extérieur. Quelque chose hurlait en moi, la faim me tordait l'estomac. Mon corps était en feu par la faute de la fièvre m'habitant. Je devais aller voir mon Maître. Ce qui m'arrivait,je ne le comprenais pas. Il fallait qu'il m'aide.

Je partis en direction du palais de l'ordre du Clair-Obscur. Il se dressait au centre de la place Saint-Pierre, au Vatican. Les grandes portes en pierres blanches étaient situées au milieu de la basilique. Un silence se fit quand j'ouvris les portes immenses. La grande salle était d'un blanc immaculé, des colonnes à l'effigie des anciens dieux se dressaient de part et d'autre de la salle. Le vitrail au plafond laissait passer les rayons de la lune. Mon Maître était là, au fond, les autres Maîtres et les Érudits l'entouraient. Ils me fixaient tous.

Était-ce parce que ma robe blanche de Garantie était trempée par la pluie ? Ou était-ce mes yeux injectés de sang et mes mains où des griffes s'étaient plantées, mes griffes, qu'ils fixaient ? De la peur, dans leur regard. Mon cœur explosait sous la vitesse de son battement, mon souffle était irrégulier, haletant. Et cette faim qui grandissait au fur et à mesure que la lune m'éclairait. Une bête hurlait en moi, je fis de même sous la douleur de la peau qui se déchirait. Des poils de loups sortaient des déchirures.

Je fis un pas en direction de mon Maître, demandant de l'aide. Un hurlement monstrueux sortait de ma bouche à la place puis... Le trou noir.

J'ouvris les yeux après ma perte de connaissance, me levai du sol où j'étais tombée. Mon regard se porta sur les colonnes et le sol de la salle, autrefois blancs. Des morceaux de corps jonchaient le sol, du sang recouvrait toutes les surfaces de la salle. Mon regard se porta sur mon Maître, le corps déchiqueté. Mon regard se porta sur mes mains maculées de sang. J'étais la responsable de ce carnage.

Une image me revenait en mémoire, celle de l'inconnu. Son rictus satisfait. Et là je compris. Il m'avait contaminé d'un virus incurable. Il avait fait disparaître mon humanité.

Kaelia Clervie n'était plus humaine. Elle s'était transformée. Kaelia Clervie était désormais une lycanthrope. Et plus tard, je choisirai un autre nom. Plus tard, je me ferai nommer d'un nom de louve. Malu.

La voie du Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant