Prologue

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mardi 8 juillet, 16h03


L'astre solaire était déjà haut placé dans le ciel, imposant ses larges rayons illuminés sur tout le relief montagneux environnant ; cela n'empêcha cependant pas la fine couche de neige éternelle gisant au sommet des élévations de fondre. L'épaisse forêt de pin s'étendait sur des kilomètres, baignée dans la lumière de la chaleur, s'en délectant et se mouvant délicatement, fabriquant une mélodie apaisante, un doux chuchotement.

Au creux de la plaine, l'herbe verdoyait majestueusement, de nombreuses fleurs avaient vu le jour, ajoutant à ce paysage de carte postale des tâches irrégulières et multicolores, ravivant les contrastes et rivalisant avec le bleu cru du ciel, aujourd'hui dépourvu du moindre nuage.

Un insolent rayon de soleil vînt illuminer le minois de la jeune fille, le vent fouetta légèrement son visage, déplaçant doucement quelques mèches de cheveux dorées et ondulées sur ses pommettes parsemées de tâches de rousseurs, tâches qu'elle devait aux heures d'entraînements intensifs et à l'intégralité des cours passées à l'extérieur sous ce lourd soleil estival. Les yeux clos, elle se laissait bercer par l'atmosphère paisible, saisissant le moment présent et jouissant de sa sérénité.

Il y avait parfois des moments comme celui-ci : moments dans lesquels on se sentait redevable de ce que Dame Nature nous offrait perpétuellement, on passait souvent à côté, trop occupés par la précipitation constante d'une routine durement établie, ces instants là étaient précieux et elle en avait conscience.

Les battements de son cœur étaient lents et réguliers, comme si la légèreté de l'instant présent avait embaumé tout son être d'une reconnaissance sans nom, tout autour d'elle paraissait si calme, si pur.

Des bruits de pas s'approchaient, perturbant pour le moins du monde la connexion que notre protagoniste venait d'établir avec la nature, ressentant ses chétifs bruits jusqu'au plus profond de sa moelle. Une grande brune s'allongea aux côtés de la jeune femme qui daignait ouvrir les yeux, sachant d'avance l'identité de l'intrus à sa gauche, curieux de prendre part à ce même moment d'harmonie.

Elle tourna doucement la tête et sourit en voyant son amie qui avait déjà clos ses paupières, les bras fermement croisés derrière la tête. De long cils bruns harmonisaient le visage à la peau mat de sa camarade d'enfance, ses lèvres s'étiraient en un large sourire sans pour autant laisser apparaître ses dents.

Le cœur de notre jeune héroïne s'empli alors d'une émotion insaisissable, débordant d'amour et de joie à l'idée de partager cet instant magique avec la personne qui lui était la plus proche sur cette fichue planète, l'unique personne avec qui elle avait tout partagé depuis des lustres : ses moments de joies comme ses coups de cafard, ses victoires et ses déceptions, ses ressentis sur l'existence et son avis sur l'Au-Delà.

En un regard, un flot d'images vint aveugler Rachel qui regardait son amie sans la voir, décortiquant chaque souvenir précieux qui défilait devant ses yeux : du premier jour où la petite blonde avait été amenée ici, âgée d'à peine six ans, leurs premières blagues complices, les prémices d'une amitié sans frontière où la crainte du jugement et la honte n'avaient plus leur place depuis une éternité, les peurs bleues qu'elles s'étaient flanquées lors des quelques expéditions nocturnes à travers la forêt, quand tout le petit monde qu'englobait le monastère rêvassait profondément, leurs moments de tristesse partagées où l'une comme l'autre s'étaient toujours solidement épaulées, se questionnant sur leur venue dans ce bas-monde si ingrat et le rôle qu'elles devaient  y tenir.

Et maintenant, elles avaient grandis et mûries, elles étaient devenues deux femmes. Ensemble. Côte à côte, les années partagées ensemble avaient durci nos deux compères comme une pierre que l'on avait tailladé mais soigneusement. Elles avaient acquis une maturité et une force hors du commun : elles étaient complémentaires et ça depuis la nuit des temps.

Aucunes d'entre elles n'osait parler, peut-être par peur de gâcher la douce mélodie de la brise ciselant les arbres. Oui, il y avait parfois de ces rares instants simples où elle se sentait vivante, où la vie ne lui paraissait plus aussi impérieuse, où la survie n'était qu'une option parmi tant d'autres, où la rudesse de son pauvre destin n'avait plus le gout amer du désarroi, où elle ne regrettait plus d'être venue au monde, où la perpétuelle menace d'un titan surgissant de nul part ne planait plus constamment au dessus d'eux, ces instants ineffables et intimes que seul les plus attentionnés étaient capables de saisir étaient précieux.

Le fragile cocon que venait de se construire Rachel fut alors interrompus par des cris, des bruits de voix s'élevaient jusqu'aux oreilles des deux jeunes femmes qui relevèrent simultanément la tête vers le monastère qui leur servait de dortoir et d'école depuis maintenant des années.

D'épaisses flammes dévoraient goulûment leur maison commune, laissant derrière elles d'énormes volutes de fumée grisâtres ainsi qu'une multitude de souvenirs qui s'entrechoquaient dans leur deux têtes respectives.

Une vision d'horreur s'empara des deux amies qui pensaient à la même chose : les autres. La plupart était surement restée à l'intérieur pour se protéger des lourds rayons du soleil, profitant du peu de fraîcheur que les murs de la bâtisse leur offraient.

C'est à cet instant précis que tout s'envola en éclat.

À l'aube (Lévi X OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant