23) L'Approche de la Tempête

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Une respiration saccadée peinait à se faire entendre à travers le vent fort qui balayait l'Île des Quatre Dragons. Son hurlement portait des larges pétales qui volaient jusqu'aux cieux dans une danse paniquée. Blaize s'appuya contre un immense arbre pour reprendre son souffle. La grandeur de celui-ci était éclipsée par le géant de pierre non loin : le mont Élémentaria. Elle avait quitté la Forêt de Fleurs en courant et se retrouvait dans un bois plus classique. Au-dessus de sa tête, le ciel, comme son expression, s'assombrissait : des nuages gris se faisaient la course pour rejoindre le petit tas de terre perdu au milieu de l'océan. La pluie commençait à tomber.

Une goutte lui fit cligner des yeux. Elle coula le long de sa joue et rejoignit ses lèvres. Son goût salé picota sa langue ; c'était de l'eau de mer. Elle avait été soulevée dans la rage céleste qui n'attendait que de s'abattre sur l'île, la faire retourner dans les profondeurs d'où elle s'était échappée. Protégée par la canopée, Blaize contempla le reflet déformé des feuilles fades dans les flaques qui se formaient lentement par terre. Le monde qu'elle y vit était terne, triste, une caricature pitoyable de ce qu'elle imaginait, de ce qu'elle voulait. 

Tout ce que Théophile avait dit... Son esprit répétait encore et encore ses paroles comme un disque rayé... Plus Blaize entendait ces mots, moins ils avaient de sens ; ce n'était plus qu'un ramassis de phonèmes sans signification. Yurao faisait parti de la Kuroi Namida ? Il était corrompu ? Et non seulement Théophile, mais Imiris aussi le savait par dessus le marché ? Il faisait confiance à Imiris mais pas à sa propre sœur ?! Toutes ces informations résonnaient en un canon de plus en plus fort. Partout, la voix de Théophile l'assourdissait de ses reproches, des reproches qu'il ne daignait même pas lui adresser en personne. Elle ne tenait plus ce mal de crâne...

« Elle aura toujours besoin de ma protection »

- Arrête ! cria-t-elle enfin, couvrant ses oreilles de ses mains. Arrête ! J'en peux plus ! Pitié ! Laisse-moi partir ! Laisse-moi partir !

Sans s'en rendre compte, elle s'était faite étouffer par lui. Il l'avait entourée de ses bras il y avait dix ans et il n'avait pas lâché prise depuis. Elle manquait d'air, elle manquait d'espace, et enfin elle se rendait compte d'à quel point l'air était irrespirable en sa présence.  

Elle s'était accroupie pour se faire aussi petite que possible, un réflexe inconscient... C'était ce quelle faisait lorsque Mère la grondait. Elle sanglotait pitoyablement ; quel genre de chevalière était-elle pour se conduire ainsi ? Elle était enfermée dans l'image que son frère avait d'elle, et au lieu de se rebeller elle ne faisait que pleurer. Depuis le début, elle tombait à la première difficulté qui se présentait. Elle était faible. Il lui fallait sortir de cette faiblesse, briser cette barrière qu'il lui imposait. Elle posa sa main sur le fourreau de son katana ; ce compagnon-ci, au moins, ne la limiterait pas dans ses espoirs. Elle prit le temps de calmer sa respiration, et d'elles-mêmes ses pensées se clarifièrent et le chœur des doutes de Théophile se turent. Il était temps de devenir forte. 

L'odeur devenue familière d'herbe à chat chatouilla ses narines : Haru et les autres se rapprochaient, le vent les portait jusqu'à elle. Elle se releva pour se remettre en route, essuyant ses larmes sur le dos de sa main.

- Ça ne sert à rien de pleurer.

Une voix derrière elle fit un écho sinistre à son for intérieur. Blaize fit volte-face, dégainant son arme, prête à l'attaque. Et heureusement, car aussitôt elle la leva au-dessus de sa tête pour parer l'offensive à la dague de son adversaire. Elle la repoussa loin, puis tel un félin elle tendit ses muscles, plia ses genoux. C'étaient les automatismes du cours de combat : poids du corps aussi bas que possible, ventre protégé, cibler les chevilles, le ventre, le cœur, le cou... Elle était prête à reprendre l'assaut. Presque inconsciemment elle reconnut le tintement métallique qui avait accompagné le chaos dans le QG : les anneaux dorés qui pendaient aux tresses d'Akuma s'entrechoquaient à presque chacun de ses mouvements. Contre une humaine, les instincts de Blaize lui donnaient un avantage. Elle jugea la position de la jeune femme : elle était beaucoup trop détendue.

Crimson SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant