(15) Croyances avérées

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Pdv Pompée

Au sortir de la demeure d'Aurelia Cotta, je ne m'attendais pas à tomber nez à nez avec son fils, ayant pris connaissance des différends qui les animent.
Et pourtant, c'est bien l'illustre Jules César qui se tient devant moi, cet homme précédé par sa réputation dans tout ce qu'il entreprend.
A mes yeux, il est pourtant un autre.

Il est cet ami d'enfance, celui avec lequel je m'autorisais toutes les folies de cet âge : nous étions même allés jusqu'à subtiliser la toge de nos pères pour la revêtir à notre tour. Les seize ans nous paraissaient bien trop lointains !
Je n'ose penser à ce qui serait advenu de nous si nous nous étions fait prendre à jouer aux adultes. On ne badine pas avec les traditions...
Mais il était aussi ce confident de mes années de doute, cette période entre deux eaux, lorsque l'on ne sait pas si l'on est un adulte ou un enfant.
Je me souviens d'une journée radieuse, durant laquelle nous étions pourtant accablés par ce soleil écrasant et cherchions une distraction. Le forum est le lieu où se rendent les âmes en peine et, faisant une analogie avec le mot âme, je repense à cet épisode : nous avions écouté les pérégrinations d'une vieille femme esseulée. Elle nous avait expliqué que les défunts sans sépulture sont destinés à errer sans fin du mauvais côté du fleuve qui sépare le royaume des morts de celui des vivants. Ils se retrouvent dans un entre-deux glaçants, à observer les moindres faits et gestes de ceux dont le cœur bat, en ne pouvant qu'apparaître dans leurs songes.
Nous lui avions rit au nez à l'époque, nous avons plus tard réalisé notre erreur.
Il sait que j'ai du sang sur les main et également pourquoi Fabia s'est volatilisée...

Mais revenons au présent.
Maintenant, il est un allié de pouvoir.

Comme je voudrais revenir au temps où ce mot ne signifiait rien, il était prononcé par des adultes affairés et inintéressants...

Il est maintenant certain qu'il m'a remarqué, je ne peux plus esquiver.
Il hésite sur la posture à adopter : l'embrassade chaleureuse destinée aux proches ou bien le salut hautain réservé aux associés?

Il doit avoir fait son choix puisqu'il se dirige vers moi. Je le laisse faire comme bon lui semble, je ne suis pas parvenu à choisir.

Il me tend la main. Il a choisi de rester distant manifestement.
Je ne saurais émettre un jugement sur ce choix...

Nous échangeons quelques banalités qu'aucun de nous deux n'écoutent vraiment, et nous quittons sur un sourire feint. Quoi de plus beau que l'amitié?

La mort dans l'âme (je n'ai que ce mot là en tête), je me rend chez moi, tout en me demandant si il est bien judicieux de tisser des liens avec la famille Cesar à nouveau...

Je répugne de penser à la nuit. Je la repousse aux confins de mon esprit afin d'éviter de penser à la venue de Fabia.
Mais c'est impossible.
Tout être humain normalement constitué éprouve le besoin de s'assoupir à un moment ou à un autre.
Et à ce moment-là, je ne suis plus maître de mon cerveau et de ce qu'il y est projeté. Mon subconscient est souvent accaparé par elle, Fabia, et je me demande quel sera le message de ce soir.

C'est presque de bonne volonté que je me laisse glisser dans le sommeil, comme on glisse dans un lit.
Plus d'autre bruit que ma respiration et, en tendant l'oreille, les battements cardiaques.
Les battements cardiaques car ce ne sont pas les miens, mais bien ceux de Fabia.
Pour revenir, elle a besoin de subtiliser la pompe vitale d'une entité vivante, et c'est celle de son interlocuteur qu'elle emprunte, moi en l'occurrence.

Je suis dans un état second, je sens à peine mon organe sortir de mon corps pour un instant, tant je suis enivré par les effluves du corps de Fabia qui se déplacent en volutes jusqu'à mes narines avides.
A vrai dire, j'ignore si mes paupières sont ouvertes durant cet épisode ou bien s'il ne s'agit que d'une projection de mon esprit.
Ça n'a finalement aucune importance, elle est face à moi et m'inspecte, sourcilleuse.

« Alors comme ça tu te fiances à nouveau? Sans m'en parler?
Tu as toujours été un sale goujat, du genre à tirer parti d'une femme un temps et à t'en débarrasser une fois la date de péremption dépassée !
Et pas toujours dans des circonstances louables... »

Je n'arrive pas à croire qu'elle continue à me faire la leçon.

« Fabia, qu'est ce qui me gratifie de ta visite ce soir? M'enquis-je
-Je suis venue te demander de faire attention à Julia. Elle parait robuste de prime abord, mais elle s'attache vite et je ne veux pas que tu la brises comme tu sais si bien le faire. »

Alors là elle m'a soufflé. Depuis quand sait-elle qui est Julia?
C'est la question que je lui pose et la réponse ne tarde pas.

« Sa mère était une amie d'enfance et elle est ici avec moi, on vous surveille.
-Ici?
-De l'autre côté du fleuve.
- ?
-Nous n'avons pas traversé comme la majorité, pour nous rendre du côté des morts. Nous ne pourrons trouver le repos qu'en te sachant mort pour moi, et Julia heureuse pour Cornélia.
Alors disons que l'on se débrouille pour que le passeur nous laisse un sursis...
Il se montre plutôt accommodant.
-Alors...vous êtes dans un entre deux qui vous permet de voir les vivants?
-Tout à fait. »

Je suis au moins aussi troublé que son image commence à l'être.
Elle se disloque et dans un dernier regard noir semble me dire « je t'ai à l'œil ».

J'ignore si je vais réussir à m'assoupir après cela.

Julia Caesaris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant