(46) Sisyphe

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"Ce qui me surprend, c'est que tu ne m'aies pas plus questionné sur les circonstances de ma
mort. Je m'attendais à crouler sous les questions mais tu ne m'en as finalement pas posé une seule."
Julia avait pu discuter à loisir avec sa vieille amie durant l'escalade du mont pour rejoindre les deux légionnaires. Elle s'étonna de sa propre étourderie.
Comment avait-elle pu ne pas y songer?

"Tu as raison...raconte-moi tout !"
Elle espérait pouvoir se faire pardonner en étant une oreille attentive.
"J'imagine que tu ne t'en souviens pas avec beaucoup d'acuité au vue de l'âge que tu avais à l'époque mais tu étais restée toute seule un court instant..."

Oh si, je m'en souviens plus que bien crois-moi...

"J'ai été agressée la première, au sein même du village. C'était le début des assauts dirigés par les optimates, mais le début d'une longue lignée...je suis persuadée qu'il ne voulait pas nécessairement me faire de mal mais il y a eu un moment de latence et une curieuse étincelle a brillé dans leurs prunelles, qui n'y était pas auparavant. Je ne saurais l'expliquer, mais je veux dire que je ne les pense pas foncièrement mauvais, ni cruels au point de faire du mal pour le plaisir..."

Julia se serait bien attardée sur le sujet afin d'y voir plus clair mais c'était sans compter leurs enjambées qui les avaient rapproché du sommet plus vite qu'elle ne l'avait escompté.
Appius et Titius n'avaient pas la mine réjouie qu'elle leur aurait prêté en attendant leurs appels : leurs visages étaient même totalement défaits.

Peut-être que les choses ne se présentaient pas aussi bien que prévu...

La clé était bel et bien au sommet mais elle n'était pas si facile d'accès.
Elle était comme incrustée dans une roche transparente, difficile de l'y déloger d'après ce que Julia en voyait. A moins que...
Elle se tourna vers sa nourrice.

"Tu crois qu'il serait possible de diriger toute la frustration et la haine de Sisyphe envers cette roche? Il a l'air d'en contenir assez pour la briser..."

Tous les regards se tournèrent instinctivement vers Sisyphe, toujours affublé de sa balle géante.
Il passerait bientôt à leur hauteur, ce serait le moment d'orienter son dépit de voir la balle rouler sur l'autre versant sur un autre exutoire de colère.
La nourrice s'en chargerait, sa voix était porteuse d'un haut potentiel de conviction.
Elle enjôlea l'homme du mieux qu'elle put, s'efforçant de puiser dans sa mémoire ce qu'elle savait de sa vie passée. Les morts sont toujours très attentifs lorsqu'on leur parle de leur existence d'autrefois.

Puis, lorsque la balle finit inéluctablement par vaciller sur le pic, et parti valdinguer en contrebas, l'oratrice dans la fleur de l'âge s'empressa d'attirer son attention à nouveau.

"Tu sais Sisyphe...je suis persuadée que c'est à cause de cette pierre que la balle roule sans cesse et ne se stabilise pas. Regarde ! Si tu détruisais la seule aspérité, le sol deviendrait plat et tu pourrais enfin te reposer..."

Julia ne put se retenir de faire un parallèle avec les caractères humains.
Les personnalités aux multiples aspérités ne donnent pas envie de s'y reposer, d'accorder sa confiance...c'est ainsi que ce cher Pompée revint trotter dans sa tête.

Sisyphe affichait une expression pensive.
Peut-être que la vieille disait vrai...
Du bruit vint l'extirper de son entrelacs de réflexions.
De la balle émanait des appels à l'aide on-ne-peut-plus évocateurs...

Finalement, il se fia aux dires de Servia et, dans un râle puissant, vint fracasser la pierre à l'aide de ses seules mains, mains calleuses d'avoir tant poussé.
Julia exultait. Tout fonctionnait si bien !

Il ne restait plus qu'à ouvrir le coffre.

Julia Caesaris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant