(36) Compagnonnage avec des légionnaires

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Julia avait donc entrepris la descente de la fameuse colline, toujours entourée par des défunts plus hétéroclites les uns que les autres.
Rares étaient ceux qui s'attendaient à ce spectacle macabre de la guerre dans les Enfers.
Elle cheminait derrière un homme aux allures de légionnaire, qui s'adressait bruyamment à son compagnon "c'est pas possible, on quitte une bataille en espérant que notre mort nous apportera au moins du repos et l'on se retrouve en plein champ de guerre à nouveau !"

Elle ne pouvait pas lui donner tort. Par contre, il semblait intéressant de découvrir dans quelles circonstances ce jeune homme avait péri.

"Excusez moi, je me demandais... quelle bataille vous fût fatale?
-Ne vous en faites pas mademoiselle, j'aime raconter cette histoire à qui veut bien l'écouter alors je me ferais un plaisir de vous la narrer. Vous voulez la version longue?

Julia fit mine d'y réfléchir un instant, avant d'opiner du chef gravement.

- De toute façon, je crois que nous avons du temps devant nous !
Cette boutade eut le mérite de provoquer son hilarité et celle de son compagnon mais ils se recomposèrent vite un visage de circonstance.
Le premier jeune légionnaire reprit la parole.

-Pour revenir aux fondements du conflit, cette guerre civile oppose deux hommes en particulier : Marius et Sylla.
Comme toujours lorsque des hommes de cette envergure décident de guerroyer, c'est l'humanité toute entière qui en fait les frais. Ou du moins, toutes leurs armées respectives.
Ces deux hurluberlus ont décidé qu'ils voulaient contrôler la république romaine.
Seulement voilà : ni l'un ni l'autre n'est près à faire un compromis et à envisager une moitié de pouvoir. Ils veulent s'octroyer l'exclusivité. Disons que Marius est pour le peuple, donc un plébéien et Sylla pour l'aristocratie, soit un patricien. Deux visions qui ont toujours été diamétralement opposée mais que tout un chacun rêverait de voir main dans la main...surtout ceux qui ne sont que le prolongement du bras du général et qui périssent pour ces idées, comme nous ! ajouta-t-il en partant d'un rire lourd avec son ami.
-Vous m'avez l'air drôlement bien renseigné...répondit Julia, plutôt admirative et secrètement réjouie de cette source d'informations inespéré qui lui serait sans doute d'une grande aide pour mettre fin aux querelles. C'était un peu présomptueux mais elle espérait au moins les apaiser pour un temps...les différends ne disparaîtraient jamais vraiment, elle en avait conscience.
Les rires du légionnaires, qui avaient commencé à se tarir, repartirent de plus belle.
-Ah ça oui ma petite demoiselle, j'essaie de savoir pourquoi je verse mon sang !
Vous êtes de Rome?
Ah ça, pour être de Rome, elle était de Rome, quoiqu'elle réalisât que la ville ne l'avait pas vue naître et ne la verrait probablement pas mourir non plus. Il y avait si longtemps qu'elle n'y avait pas mis les pieds...et si ces légionnaires avaient en horreur les riches patriciens qui logeaient là-bas? Pourquoi poseraient-ils la question sinon?
Suspicieuse, elle choisit la carte de la prudence.
-Ma foi, j'ai eu l'occasion d'y aller une fois ou deux mais je ne suis pas une grande experte de l'endroit. Pourquoi?
-Eh bien si vous aviez été une des riches qui vivaient là-bas, il vous aurait peut-être été désagréable d'entendre que le dictateur Sylla a été évincé par Marius.
-Comment la chose s'est-elle produite?
Elle tenta d'appliquer un masque de neutralité sur ses traits, de filtrer la surprise sur son visage car chacun savait à quel point Sylla tenait à sa place et faisait preuve de ruse pour la conserver...
Le légionnaire eut l'air ennuyé de devoir tout expliquer mais son naturel bavard et expansif reprit le dessus.
-C'est une affaire assez tordue à vrai dire, très sinueuse même. Sylla et Marius n'ont pas toujours nourris une intense haine l'un envers l'autre : fut une époque où ils pouvaient être considérés comme de bonnes connaissances. Sylla a été élu au consulat tandis que Marius prenait une autre voie : le commandement de la guerre contre le roi Mythridate VI, personnage assez similaire à Hannibal pour son sentiment anti-romains. Marius se chargeait donc de conquérir l'Asie Mineure pour la République Romaine, tout en menant bataille contre Mythridate qui voulait faire de même, pendant que Sylla s'élevait au consulat.
Marius devait revenir un jour à Rome, et malgré les stigmates que le temps avait creusé sur sa peau, il était déterminé à faire valoir sa victoire comme un laisser-passer pour l'accès au pouvoir.

Julia Caesaris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant