Chapitre 1

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~ Madeleine ~

Septembre 1943. 

Le vent nous cingla le visage à peine le pied dehors. Je regardais Elisabeth en repoussant mes cheveux bruns, déjà dépassée. La jeune cadette me lança un sourire amusé en s'élançant dans la fraîcheur matinale. Son uniforme se plaqua aussitôt contre ses jambes, me faisant secouer la tête. Le mien ne manqua pas de faire de même alors que je resserrais mon tablier, le froid me provoquant déjà des frissons. Elisabeth s'arrêta à une quinzaine de pas pour me chercher du regard, soudain inquiète. Je lui lançais un sourire des plus insouciants en me rapprochant, ma sacoche barrant mes épaules. 

La jeune infirmière ne dépassait pas les 22 ans. C'était la dernière recrue. Arrivée tout droit du Sud de la France. Elle avait franchi les portes de l'hôpital, il y avait presque six mois. Petit à petit, elle s'était familiarisée avec nous. Et elle avait même fini par tisser des liens avec certaines. Ses longs cheveux tressés me rappelèrent les miens. Sa petite taille et ses yeux bleus lui donnaient un air encore plus juvénile. L'insouciance de l'âge... J'étais de quatre ans son aînée et avais parfois l'impression d'être sa mère. C'était peut être ce que j'étais devenue d'ailleurs. La guerre transformait peut-être les hommes mais les femmes l'étaient tout autant. 

J'avais vu autant voire plus de cadavres qu'une jeune recrue, envoyée en première ligne pour permettre le passage de ses frères d'arme plus expérimentés. Mon caractère s'était forgé en conséquence. J'avais pris en maturité bien trop vite au goût de certaines amies infirmières, plus âgées que moi. Je secouais la tête pour revenir au présent et indiquais le second bâtiment du complexe à Elisabeth d'un signe de tête. Nous récupérâmes du matériel en tout genre que nous fourrâmes dans ma sacoche avant de retourner dans le premier bâtiment. 

L'hôpital se divisait en deux : l'annexe gauche servait d'entrepôt pour le matériel, de renfort si jamais le nombre de blessés était trop élevé, et de dortoirs. L'annexe droite servait de lieu principal d'accueil des blessés, de lieu de vie et d'apprentissage. Dès que nous en avions le temps, les plus anciennes essayaient de parfaire notre formation.  Mais pas aujourd'hui. Nous avions plusieurs soldats allemands blessés et si aucune d'entre nous ne tenait à les voir entre nos murs, les soigner était la seule solution pour les faire déguerpir. Elisabeth me précéda une nouvelle fois et m'ouvrit la voie. Lorsque nous arrivâmes dans la pièce commune où était regroupé les lits des blessés, le dernier arrivé était particulièrement agité. Je repoussais aussitôt Elisabeth en croisant le regard d'Anne. 

- Madeleine, attrape-lui le bras ! Elisabeth, une seringue ! 

Le soldat cria quelque chose en allemand que mon amie ne comprit pas. Elle le força à se rallonger mais l'homme se débattit, visiblement en souffrance. J'essayais de le calmer, lui faisant comprendre que sa plaie n'était pas encore soignée. Lorsque Elisabeth s'approcha, le soldat fit un geste brusque pour lui attraper le poignet, faisant paniquer l'infirmière. J'essayais de rattraper son bras, en vain. Il le rabattit alors brusquement, me cinglant le visage d'une gifle magistrale. 

Un cri m'échappa, partagé entre la surprise et la douleur. Je m'écroulais sur le lit voisin, la lèvre fendue. Je passais instinctivement mes doigts sur la plaie, ravivant la brûlure. Le gout métallique m'explosa dans la bouche au moment où le bruit caractéristique de l'armement d'un revolver se faisait entendre. Mais lorsqu'on m'attrapa le bras, ce fut le visage rassurant de Jeanne qui m'apparut. Elle m'aida à me relever et me ramena dans ses bras alors qu'Anne tenait en joug l'allemand, le visage impassible. 

- Tu bouges et je t'achève, siffla la mère infirmière. Maddy ? 

- C'est rien, articulai-je malgré la douleur. 

1943 : Amour de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant