Chapitre 11

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Je jetai un regard froid à Malia. Ses sourcils auparavant froncés de détermination s'étaient relâchés sous l'effet du choc que mes paroles avaient provoqué. Elle me jetait un regard vide, de ceux qui témoignent de l'incompréhension extrême, de l'étonnement, d'un combat sous-jacent, une lutte pour savoir si je me payais sa tête ou si au contraire j'étais diablement sérieuse.

Je voyais presque les engrenages de son cerveau tourner et c'était bien la première fois que son visage exprimait autant de choses. D'ordinaire, ce n'était que de rares mimiques qui me permettait d'interpréter ses émotions, un sourcil tremblant, un oeil fuyant ou une crispation de la mâchoire.

Mais à ce moment précis, Malia avait laissé tomber son masque de froideur, elle avait rendu les armes comme j'avais rendu les miennes. Ce moment était celui d'une communion, un rassemblement autour d'une même vérité. Un même but.

Découvrir ce que l'autre cachait sous sa carapace, sous ces couches de colère, de froideur, de tristesse, de culpabilité et de rancune qui nous faisaient ressembler à des oignons dont on ne trouve jamais le coeur sous les couches de protection.

J'avais entamé ce processus de mise à nu, j'enlevais mes couches petit à petit, l'une d'elles lui avait volé en pleine face et l'avait amochée car elle était couverte de piques acérés. Un secret gardé derrière des défenses solides, des armées de soldats de feu campant leurs positions envers et contre tout et contre attaquant à la moindre tentative de percée de la muraille infranchissable.

Mon esprit était un champ de bataille, et cette faucheuse colère y régnait en maître depuis quatre ans. Je ne le voulais plus. Je voulais pleurer, revenir en arrière, me faire pardonner, la faire revivre, je voulais tellement de choses impossibles, je voulais la lune, le soleil, la vie, la mort et la magie. Je voulais moi, elle, Liam, mes parents , Malia, quelqu'un pour me sortir de cette impasse dans laquelle je m'étais égoïstement fourrée.

Malgré le combat qui se menait de mon côté du lien qui unissait nos pupilles, profondément ancrées les unes dans les autres sans aucune déviation possible, mon visage restait froidement fermé. Mes larmes avaient séché, je m'étais renfermée dans ce coin confortable de mon esprit où je ne craignais rien, loin de la réalité.

— Depuis petites, nous étions inséparables, de fausses  jumelles qui se comportaient comme des vraies. Julie a toujours été plus extravertie que moi, elle était un soleil, réellement. Un exemple de gentillesse, de compassion, d'altruisme, d'intelligence, elle n'avait aucun défaut selon moi. Mais bien sûr elle en avait, elle avait une tendance à mettre une trop grande passion dans ce qu'elle faisait.

Je marquais une pause. Mes mots coulaient tous seuls de ma bouche, je ne contrôlais rien.

— Et surtout, c'était un esprit libre.

Quelques secondes s'écoulèrent durant lesquelles je soupirais et détournais le regard. Je replongeai dans mes souvenirs, l'image de ma soeur plus jeune, me souriant de toutes ces dents dans le soleil de cette montagne où j'avais ramassé la pierre apparaissant devant mes yeux.

— Elle était fascinante, charismatique, tout le monde l'aimait, elle riait sans arrêt, souriait sans arrêt, vivait sans arrêt. Et moi je l'admirais. J'étais réservée, je l'ai toujours été, je ne parlais qu'à très peu de gens, je restais dans mon coin à lire des livres, rougissant de toutes mes joues dès qu'on me complimentait.

J'attrappai un brin d'herbe et commençait à le tortiller autour de mes doigts.

— Mes tics nerveux, ma timidité, cette peur du monde qui me confinait dans mon coin de la réalité, plongeant dans la fiction pour vivre des aventures.
      Nous étions très similaires sur ce point, les livres étaient un échappatoire. Un moyen de voyager. Mais Julie réalisait de vrais voyages, à travers elle-même mais aussi en aidant les gens qui l'entourait, en étant l'héroïne de sa propre vie, de son propre roman.

Malia me regardait toujours avec attention, le calme étant revenu sur son visage.

— Elle rêvait de liberté, de rébellion. On passait notre temps dehors, à courir dans la direction que son instinct lui dictait, cette envie d'aventure qui me faisait aussi briller de l'intérieur. J'étais heureuse avec elle, elle était mon modèle, ma motivation, mon point de repère dans la vie. Je la suivais parce qu'elle était celle qui me donnait le courage d'accomplir mes rêves et ce que la partie rebelle de moi souhaitait faire sans jamais y parvenir.
      Quand nous avions 11 ans, nous sommes rentrées au collège. Et tout se passait bien, nous vivions toujours aussi heureuses. Un jour, une famille a emménagé dans la maison à notre droite. Nous habitons toujours au même endroit, à deux pas du lycée, et cette famille était celle du nouveau proviseur. Et ainsi Alexandre est entré dans nos vies.

Je marquais un temps d'arrêt pour regarder Malia, mes doigts triturant toujours le brin d'herbe.

— Il a débarqué comme une bombe dans notre duo, et il s'y est très vite acclimaté. C'était un ange, il était drôle, avait un an de plus que nous et nous traitait comme ses petites soeurs. Nous avons grandi tous les trois durant notre préadolescence et Julie et moi avons vite eu un autre point commun.

Je répondais le regard sur le brin d'herbe entre mes mains.

— À notre rentrée en quatrième environ, nous avons compris toutes les deux qu'Alexandre n'était pas seulement notre ami.

Mon regard se durcit en même temps que ma mâchoire se crispait de dégoût et de colère à l'égard de moi-même plus jeune.

— Nous sommes tombées amoureuses de lui.

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Coucou !
J'espère que vous allez bien :)
Je vous retrouve donc avec un nouveau chapitre en ce jour de vendredi.
J'espère vraiment que cela vous a plu en tous cas moi j'aime bien ce chapitre.
Il faut savoir que je l'ai écrit d'une traite, ce qui est assez rare, d'ordinaire je préfère fragmenter et surtout je n'arrive pas à écrire 1000 mots d'un coup.
À bientôt pour la suite :)

Les Pleurs Du Mal Où les histoires vivent. Découvrez maintenant