Malia gardait le visage fermé, attendant la suite de l'histoire qu'elle présageait sûrement n'être vraiment pas rose. Elle avait raison.
— Nous sommes tombées amoureuses de lui, naturellement. Et nous nous sommes promis de ne pas le lui dire, de ne pas sortir avec lui pour ne pas faire souffrir l'autre.
Je laissais planer un silence, entrecoupé de craquements des brins d'herbes que je déchiquetais entre mes doigts.
— Le soir, avec Julie, nous nous baladions dans la ville à l'insu de nos parents. On venait dans cette forêt, on regardait les étoiles, on écrivait nos chansons, elle dessinait à le lumière d'une torche. C'était nos moments à nous. Elle nous appelait les "vagabondes" et, en hommage à Baudelaire, elle a décidé que notre phrase à nous serait un mélange des titres de ses poèmes.
— Les tristesses de la Lune font la beauté des vagabondes.
— Oui, pour elle, l'éclairage de la Lune nous rendaient plus belles parce que c'était la que nous étions nous-mêmes, au milieu de la nuit, éclairées par la nature. Elle avait raison en un sens.
Je soupirai longuement en regardant le ciel grisonnant où s'élevaient les squelettes des arbres.
— Quand Alexandre est arrivé, nous n'avons pas tardé à l'emmener lors de nos escapades nocturnes. On rigolait bien, on s'amusait. On était jeunes. Mais il l'était moins que nous, et ça, nous l'avions oublié.
Mon visage se ferma et je tentais de retenir les nouvelles larmes qui émergeaient sous mes paupières.
— Un jour, il est venu à la maison dans la journée. Julie n'était pas là car elle était à la danse. Il voulait me parler. Mon coeur de petite fleur bleue de l'époque s'était emballé, je pensais que quelqu'un m'avait enfin remarquée dans l'ombre de ma soeur. Ce n'était pas le cas, tu t'en doutes. Il venait pour me demander si Julie m'avait parlé de lui. Si elle l'aimait bien.
Une larme s'échappa et vint s'écraser sur mes genoux.
— J'étais anéantie. J'ai eu le coeur brisé ce jour-là, éclaté en millions de particules, laissant la place à un perfide serpent de colère. Il s'y est infiltré, violemment, il a réveillé chaque cellule de mon être dans un seul sentiment, un seul but. Je voulais la tuer. Je voulais lui faire payer d'être plus belle que moi, d'être extravertie, d'attirer les regards. Je voulais lui faire payer les années de ma vie que j'avais passées à la suivre, à ne rien faire de moi-même. Je voulais la tuer.
Malia me regardait, une expression neutre flottant sur son visage.
— Arrête avec ce visage, je t'en supplie. Ne me regarde pas comme si je n'avais rien fait.
Elle ne sourcilla pas tandis que je la regardais, mon masque complètement effondré. Je voulais la secouer, lui montrer que je n'étais qu'un putain de monstre, la faire réaliser qu'elle ne devrait même pas se trouver là à m'écouter, que je ne devrais pas être en vie.
— Putain mais réagis ! J'ai tué ma soeur juste parce que j'étais jalouse ! Tu comprends ça ?
Ma détresse était telle que je ne contrôlais plus mes gestes, j'avais balancé le coffre au sol et je secouais Malia par les épaules. Mais son visage resta impassible.
— Raconte la suite.
Je la regardais, une moue de tristesse mêlée à de la culpabilité tordant les traits de mon visage.
— Le soir, on est venus ici, comme d'habitude avec Alexandre et Julie.
Ma voix tremblait, rauque des larmes de ressentiment que j'avais envers moi-même et envers la jeune fille qui se trouvait en face de moi et qui ne disait rien.
— Et à un moment, Alexandre a demandé à Julie de s'éloigner un peu. Je savais ce qu'il allait lui dire. J'étais en train d'écrire un poème et j'ai cassé mon crayon d'énervement. J'ai commencé à pleurer, en silence, mais cela s'entendait quand même. Julie m'a demandé si ça allait. Je lui ai répondu que oui, que j'avais simplement pris froid. Il l'a emmené. Juste là.
Je pointai du doigt un bosquet plus touffu de la clairière.
— Je n'ai pas distingué clairement ce qu'il lui disait. Mais elle a répondu quelque chose et ils ont commencé à crier. Moi, je ne bougeais pas, mes joues étaient innondées, je voulais y aller, ne plus être seule sur cette souche. Et j'ai entendu. "On s'en bats la race de ta soeur putain, c'est juste une conne sans personnalité. Elle fait que te suivre partout comme un petit chien, tu te rends pas compte qu'elle sert à rien ? On pourrait être heureux tous les deux, sans elle dans nos pattes." J'étais terrassée. C'était ça qu'il pensait de moi alors ? J'ai décidé de me venger contre eux deux. Je me suis levée et je me suis approchée d'eux, silencieusement.
Je refaisais les gestes que j'avais fait ce jour-là, presque inconsciemment.
— J'ai écarté cette branche de ronces et je me suis entaillé l'index sur toute sa longueur. J'ai ramassé une pierre coupante qui traînait par là, je l'ai faite tourner dans ma main, en préparant ce que j'allais faire et dire. Et je l'ai entendue. "Lucille est une personne extraordinaire. Jamais elle ne me ferait de mal juste pour un garçon et je compte faire la même chose." Ma détermination a légèrement flanché mais j'étais trop énervée pour m'arrêter. Avant que je n'entre véritablement dans le bosquet, j'ai entendu la voix d'Alexandre prendre un ton menaçant.
Je marquais une légère pause.
— Il a dit " Si tu ne veux pas m'offrir ton corps, je te le prendrais de force."
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Euh oui bonjour moi c'est Agathe enchantée.
Oui vous avez le droit de vous demander ce que c'est ce bazar.
Personnellement, je suis en train de pleurer suite à l'écriture de ce chapitre. Pas ouf.
Il reste deux ou trois chapitres avant la fin, j'ai hâte mais en même temps j'ai un peu peur de vos réactions.
Dans tous les cas, j'espère que cela vous a plu, et je vous retrouve bientôt pour la chapitre 13 :)
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Les Pleurs Du Mal
General FictionOn voit souvent des personnes parfaites passer dans la rue. C'est à ce moment que l'on remet notre vie en question en général. Lucille elle, ne la remettait jamais en question puisque sa vie était clairement définie. Sa vie était de faire respecte...