Chapitre 15

12 4 3
                                    

Nous restâmes quelques instants immobiles, moi trop choquée pour esquisser un mouvement, elle attendant sûrement une claque de ma part. Mais elle ne vint jamais.

Elle s'écarta de moi, introduisant de nouveau le minimum d'espace vital necessaire à la survie d'un être humain tel que moi. J'avais les contacts physiques en horreur et pourtant, jamais il ne m'était venu à l'idée de la repousser. Je ne savais pas ce qu'il se passait dans ma tête, mais il allait falloir que je mette tout ça au clair.

Malia me regardait, un sourire affectueux lui plissant les lèvres et éclairant ses yeux bleu profond.

— Voilà mon secret.

Je ne dis rien, toujours aussi étonnée de la tournure qu'avaient pris les évènements. On parlait de comment j'avais obtenu toutes mes cicatrices et elle venait de d'embrasser. Le retournement de situation nécessitait un redémarrage complet de mon cerveau qui avait crié au message d'erreur dès que ses lèvres avaient effleuré les miennes.

— J'ai aimé quelqu'un, une fille, et les gentilles personnes de mon ancien lycée ne l'ont pas vu de cette manière.

Elle poussa un grand soupir, chargé de rancoeur et de tristesse, mais aussi d'un certain désespoir face à l'homme.

— Elle s'appelait Éva. C'était une petite jeune femme, toute en rondeurs adorables. Elle était le soleil de ma vie, la seule qui m'avait acceptée quand je n'étais encore qu'une petite fille un peu glauque perdue au fond de la classe. Et je l'ai aimée plus que de raison.

Elle fouilla de sa main droite dans la poche de sa veste noire et en sortit un petit objet.

— Elle m'a offert ce coquillage, un oeil de Sainte-Lucie, quelques jours avant sa mort. Quand j'ai entendu ton prénom, je me suis dit que ça ne pouvait pas être une coïncidence et qu'elle m'envoyait un message, même si elle n'était plus là.

Le silence revint entre nous, mais il n'était pas pesant. C'était un silence sincère, de ceux de deux êtres qui se comprennent et qui acceptent de se faire confiance.

— Comment est-elle morte ?

J'avais osé poser la question fatidique, celle qui risquait d'ébranler le masque de la jeune fille aux cheveux noirs.

— Elle a toujours été victime de moqueries au sujet de son poids. C'était des "Hé la grosse, tu crois que tu pourras encore passer le portail à la fin de l'année ?" ou "T'sais, avant les gros étaient bien considérés parce que ça signifiait qu'ils étaient riches. Tu dois être blindée toi non ?". Je lui répétais de ne pas y faire attention, et parfois elles répondait avec un tact incroyable qui me faisait l'admirer encore plus. Je ne savais pas si elle partageait mes sentiments donc je n'ai rien dit. Pendant deux ans je me suis tue parce que je ne voulais pas lui attirer plus d'ennuis. Et un jour, c'est elle qui m'a embrassée. Devant toute la classe.

Son visage s'était renfermé. Plus aucune émotion ne transparaissait. Mais moi je voyais l'infime tremblement de sa mâchoire, la micro-contraction des muscles de son cou et tous ces petits détails qui me disaient que Malia était en colère.

— La réaction de ceux qui la harcelaient déjà a été immédiate. Ils ont crié à la "grosse gouine" , "les mecs veulent pas d'elle donc elle se trouve une meuf". Mais ce n'était pas le pire. Le pire, c'est que moi ils ne m'ont rien fait au début. Ils s'acharnaient sur elle et seulement elle. Ça me tuait de la voir souffrir comme ça à cause de moi. Alors j'ai voulu agir. J'ai prévenu la direction. Et ils ont prévenu nos parents.

Ses mains tremblaient et, prise d'un élan de courage et d'affection à son égard, je déposais la mienne dessus pour en calmer l'agitation. Elle me lança un sourire reconnaissant et poursuivit son récit.

— Ses parents l'ont très mal pris. Pas qu'elle se fasse harceler non. Non ils ont mal pris le fait qu'elle se fasse harceler à cause de MOI. Parce que  MOI, je l'avais entraînée dans ce délire décadent d'homosexualité, parce que MOI j'étais responsable du malheur de leur fille qui aurait mieux vécu si JE n'avais pas été là.

La rancoeur dans sa voix t'ait telle que j'entendais presque ses cordes vocales s'entrechoquer de haine envers ces deux personnes qui avaient ruiné sa vie.

— Ils disaient que j'étais celle qui avait rendue leur fille lesbienne. Alors ils ont voulu qu'elle arrête de me voir. Mais elle s'enfuyait. Je voyais qu'elle allait mal, parce qu'elle avait toujours accordé beaucoup d'importance à ce que ses parents pensaient d'elle. Les décevoir ainsi l'a détruite. Alors elle a essayé de les écouter et j'ai fait pareil pour qu'elle ne souffre pas plus. Mais on était loin de l'autre, et elle continuait à se faire tabasser et insulter à tout bout de couloir sans que je ne puisse l'aider. Elle me fuyait.

Les larmes perlaient aux coins de ses yeux, comme deux gouttes de rosée à l'extrémité d'un pétale de fleur, presque dans le vide mais pas tout a fait tombées.

— Un jour, j'ai reçu une lettre. Elle n'avait pas été envoyée car il n'y avait ni timbre ni cachet. Elle avait été déposée dans ma boîte. Elle l'avait déposée. Je l'ai lue et j'ai couru chez ses parents. Elle me disait qu'elle n'était visiblement pas dans la bonne vie, qu'elle devait en recommencer une autre ailleurs mais qu'elle se souviendrait toujours de moi et qu'elle était certaine qu'on se retrouverait un jour. Il y avait le coquillage avec la lettre, accompagné d'une note. "Tu trouveras celle qui t'aimera toute ta vie grâce à la chance de l'oeil de Sainte-Lucie"

Elle me regardait affectueusement, d'un regard qui ébranlait tout mon être. Elle plaçait d'immenses espoirs en moi et je le voyais à l'émotion dans ses yeux.

— En arrivant chez-elle, les sirènes de pompier illuminaient les façades du quartier. J'ai compris qu'il était trop tard. Je lui en ai voulu. Et je m'en suis voulu. Pendant trois mois, je n'étais qu'un zombie. Je lui en voulais d'être partie et je m'en voulais de ne pas l'en avoir empêchée. Mais après, j'ai compris que c'était sa décision, et qu'elle ne reviendrait pas. Ça ne servait à rien d'être furieuse contre elle. Alors j'ai accepté et j'ai suivi son conseil : Regarde autour de toi, le monde est rempli de gens magnifiques, écorchés par la vie qui n'attendent qu'un ange gardien aux yeux bleu nuit pour venir les sauver.

Son sourire éclairait encore son visage malgré les traces de larmes en surbrillance sur sa peau presque blanche.

— Et je t'ai trouvée. Alors merci. De m'avoir écoutée.

Je lui souris en retour, timidement car ce n'était pas un trait inné chez moi.

— J'ai terminé l'année à me faire frapper à tous les coins de couloir. Ils avaient tué leur souffre-douleur mais ils en avaient trouvé un nouveau. J'ai essayé de retourner dans mon ancien lycée au début de cette année mais c'était un calvaire alors j'ai changé.

Elle se tût, me laissant combler les morceaux de l'histoire qui suivait avec ma propre mémoire.

— Malia.

Le silence qui suivit mon apostrophe à son égard fut empli d'une certaine tension qui s'était subitement installée entre nous.

— Qu'attends-tu de moi ?

Son sourire s'agrandit à l'entente de mes paroles.

— Rien. Rien que tu ne sois pas prête à me donner. Si tu veux être avec moi, je serais là. Si tu veux parler, je t'écouterai. Si tu veux porter plainte, je te soutiendrai. Je serai là quoique tu fasses et tant que tu veux de moi à tes côtés. Alors dis moi ce que, toi, tu attends de moi.

Le sourire que nous échangeâmes à cet instant valait mieux que toutes les paroles du monde.

~~~~~~

Vous savez quoi j'ai même pas envie de dire quelque chose.

Juste, c'est bientôt la fin.

Les Pleurs Du Mal Où les histoires vivent. Découvrez maintenant