Pénélope et Perséphone furent les dernières à quitter la grotte ténébreuse qui leur avait servi de salle de conseil.
-Je dois t'avouer que je suis surprise, dit la Reine à son amie en arrivant dans le couloir désert. Je ne m'attendais pas à ce que tu suives l'avis d'Athéna. J'étais certaine que tu te prononcerais en faveur de la guerre et que nous serions à cette heure en train de nous préparer aux combats.
-Je le pensais aussi, l'informa Pénélope en fronçant les sourcils. Mais nous devons nous montrer avisées. Nous ne sommes pas des barbares et si nous faisons cesser la domination des hommes, ce n'est pas pour basculer du côté inverse. Une guerre ne ferait qu'assouvir un besoin de vengeance, pas notre besoin d'un monde meilleur.
Perséphone fit un sourire lumineux et répondit :
-Je t'admire, tu sais. Après tout ce que tu as traversé, tu parviens encore à garder la tête sur les épaules. Tu as une grande force morale.
Pénélope eut envie de lui sourire en retour mais ce qu'elle vit apparaître à l'angle du couloir la stoppa net.
-Hadès, souffla-t-elle, gagnée par la panique. Va-t-en Perséphone, vite.
-Je ne fuirai pas, décréta la Reine en fixant son mari qui arrivait vers elles à grand pas.
Elle se tint encore plus droite que d'ordinaire et redressa subrepticement la tête en signe de dédain. Mais en arrivant à sa hauteur, sans prendre la peine de s'arrêter, le Dieu des Enfers la saisit par les cheveux et la traina dans le couloir. Il proférait des injures à son encontre à plein poumons.
Avant que Pénélope ait pu faire quoi que ce soit, elle fut attrapée elle aussi par des bras musculeux et emmenée à la suite du couple infernal. Ils longèrent quelques allées tortueuses puis ils arrivèrent dans la majestueuse salle du trône. Les deux femmes furent jetées à genoux sur les grandes dalles de pierres anthracite. A gauche et à droite, de monumentales statues des créatures les plus terrifiantes se dressaient là, protectrices. Au centre de cette caverne au très haut plafond, des marches menaient au siège du maître des lieux, fait de stalagmites et de stalactites. De loin, il ressemblait davantage à une mâchoire remplie de dents pointues et tranchantes qu'à un trône.
D'une main tendue, Hadès propulsa Pénélope contre l'une des statues. Elle ne put plus bouger, retenue par un sortilège puissant. Perséphone gisait toujours sur le sol et son époux tournait autour d'elle, tel en rapace.
Une foule de gens commençait à s'amasser dans la salle, ameutés par les jurons que poussait toujours le Dieu des Enfers. Les femmes du conseil des treize étaient là, mais elles n'osèrent intervenir, sous peine de rendre publique leur coalition. Impuissantes, elles se contentèrent de regarder la scène, comme tout le monde.
-Garce ! Tu m'as trahi ! Tu m'as trahi ! Garce !
Perséphone se releva avec grâce et dit d'un ton lapidaire :
-Veux-tu vraiment te donner en spectacle devant tout ton peuple ?
Hadès arrêta ses allers et venues de fou furieux et répondit en riant de manière hystérique, les yeux écarquillés :
-Oh oui ! Oui, oui ! J'ai vraiment hâte de leur offrir ce beau spectacle.
Il leva la main vers le ciel et sa manche ample lui remonta jusqu'à l'épaule. A l'extrémité de son bras osseux apparut un fouet à plusieurs lanières de cuir. Il fendit l'air avec et l'arme claqua sourdement. L'assistance sursauta en entendant ce son désagréable à toute oreille.
-Peuple des Morts, hurla-t-il, et sa voix se répercuta contre les parois souterraines. Ma femme m'a trahi. Elle manigance ma chute, elle veut mon royaume, elle veut vous gouverner. Plus qu'une trahison, c'est de la félonie. Devant vos yeux ébahis, je m'apprête à la rendre plus obéissante. Hommes des Enfers, voilà comment on dompte son épouse.
D'un nouveau sort, il arracha ses beaux vêtements à sa femme et celle-ci, se retrouvant nue devant tout le monde, ne fit pas le moindre geste pour cacher sa nudité. Son regard souverain était fixé droit devant elle, sur le trône de son si redoutable mari et elle ne bougeait pas. Elle attendait simplement les coups.
Hadès s'était promis d'attendre lui aussi. De ne pas se précipiter, d'apprécier chaque impact sur la peau douce de sa magnifique traîtresse. Mais voyant qu'elle persistait à jouer la grande dame et à ne manifester aucune peur, pas la moindre émotion, il se mit à frapper plus vite qu'il ne l'aurait voulu. Les cinq premiers coups furent donnés presque sans qu'il s'en rendit compte. Et comme aucun d'eux ne parvint à tirer un son de la stoïque Reine, les cinq suivants furent donnés avec plus d'ardeur que les précédents.
Des marques rouges firent irruption sur la peau opaline de la déesse mais cela ne suffit pas à son mari. Il frappa encore et encore, jusqu'à voir perler de sang. Toujours pas satisfait, voulant l'entendre crier, supplier, se soumettre, il frappa plus fort encore. Le liquide poisseux imprégnait les lanières de cuir et volait dans tous les sens. Le peuple des morts se trouvait couvert de l'élixir de vie de la Reine et il exultait de joie, aminé par la chair à vif et son goût prononcé pour les exhibitions féroces. Cela encourageait le maître à se montrer toujours plus brutal.
Pendant ce temps, Pénélope pleurait sans discontinuer. Les larmes l'empêchaient fort heureusement de voir la scène en détail. Néanmoins, elle ne voulait pas lâcher son amie des yeux : c'était le seul soutien qu'elle pouvait lui apporter. Elle hurlait son nom pour lui faire savoir qu'elle était là, à ses côtés. Elle ne pouvait rien faire de plus, elle ne pouvait pas la sauver. Son cœur, déjà si meurtri, se déchirait un peu plus à chaque coup.
Hadès ne s'arrêta que lorsque Perséphone, ensanglantée de la tête aux pieds, le corps entier couvert de plaies affreuses, s'effondra sur le sol, évanouie. Elle n'avait toujours pas émis le moindre gémissement.
Hadès, essoufflé, les muscles en feu, lâcha le fouet à côté du corps inerte de son épouse et, s'appuyant sur ses genoux pour respirer quelques goulées d'air, il dit aux hommes de l'assistance :
-Je vous la laisse, faites-en ce que vous voulez.
Et pendant qu'il se retirait en vacillant, ivre de violence et couvert du sang de sa femme, les hommes s'attroupèrent autour de la Reine inconsciente. Les femmes du conseil des treize se jetèrent sur elle pour la protéger et la tirer de là avant qu'ils ne mettent la main sur elle.
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Une saison en enfer
Художественная прозаQui est cette femme, qui va et qui vient, qui peut sortir des Enfers sans même être vue de Cerbère, le chien à trois têtes ? A qui doit-elle rendre compte de cette mission qui l'amena loin de chez elle, loin du royaume des Morts ? Et de quelle missi...