Une saison en enfer

Retrouvailles

     Perséphone ne s'arrêta que lorsqu'elle fut sure d'être seule avec sa protégée. Elle avait tourné à droite puis à gauche puis à droite puis à gauche pendant dix bonnes minutes, dans les méandres de la Terre. Pénélope aurait été incapable de retrouver son chemin tant elles avaient déambulé. A son grand soulagement, la Reine avait fini par ouvrir une porte, s'était engouffrée dans la pièce, et avait refermé derrière elle comme si elle avait eu peur d'être suivie. Il faisait noir, Pénélope ignorait où elle se trouvait et Perséphone n'avait pas encore ouvert la bouche. La jeune femme avait le cœur serré : elle n'avait pas imaginé ses retrouvailles avec son amie ainsi.

     La déesse claqua des doigts dans l'obscurité et le décor apparut. Les deux femmes étaient dans la suite de la Reine. Cette dernière avait aménagé là son jardin secret, un endroit où son mari ne mettait jamais les pieds, sous aucun prétexte. Pénélope fut émerveillée par sa beauté. Du haut des quatre pans de mur coulaient des cascades qui alimentaient un cours d'eau faisant tout le tour de la pièce. Des carpes koï y dansaient gracieusement, ondulant de leur longue queue translucide. Sur le sol poussait une herbe grasse et tendre, une herbe comme elle n'en avait jamais vu sur la surface de la Terre. De ci, de là, de belles tulipes ponctuaient la verdure de leurs couleurs éclatantes et au centre de ce paradis sous terre, un grand lit en forme de fleur de cerisier attendait que l'on vienne s'étendre doucement en son sein. Du plafond artificiel émanait une lumière apaisante, comme en pleine journée d'été. Tel était le lieu que s'était fabriqué Perséphone pour retrouver un peu de son environnement d'enfance et fuir cet antre où son mari l'obligeait à se terrer.

     -C'est joli, n'est-ce pas ? demanda-t-elle avec des yeux tristes.

     -Oui, c'est magnifique, répondit Pénélope, la voix pleine d'admiration.

     Elle ne savait pas quoi dire d'autre. L'émotion lui étreignait la gorge. Elle n'en revenait pas d'être enfin de retour, d'être enfin parmi les siens et de retrouver son amie, si chère à son cœur. Elle n'eut pas besoin d'ajouter quoi que ce soit, Perséphone l'avait prise dans ses bras et s'était mise à pleurer. Alors, Pénélope s'autorisa à faire de même.

     -Tu as réussi, murmura la Reine des Enfers en tenant toujours son amie contre elle. Tu as réussi !

     Pénélope se dégagea, alla s'asseoir sur le lit. Elle sécha ses larmes d'un revers de main et dit :

     -Ça n'a pas été sans mal. Tu ne sais pas tout ce qu'ils ont pu me faire, là-haut, ni tout ce que j'ai vu. Ça a été un enfer. Mais le pire c'est... ce que moi j'ai dû faire... pour m'en sortir.

     Perséphone s'assit à côté d'elle et lui prit les mains.

     -Je le sais... dit-elle d'une voix compatissante. Voilà pourquoi ton retour est si important. Nous allons enfin pouvoir agir et faire changer les choses.

     -Comment ? demanda Pénélope, d'une voix qui laissait transparaître son découragement. Comment va-t-on faire ? Cela fait des millénaires que rien n'a changé. Comment pouvons-nous croire que nous y arriverons ? Ils sont plus forts que nous ! Ils l'ont toujours été ! C'est peine perdue...

     Perséphone savait que sa camarade ne pensait pas ce qu'elle disait. C'était elle qui était à l'initiative du grondement souterrain, de l'émulation qui animait les corridors infernaux. Cependant, elle comprenait son abattement après ce qu'elle avait traversé. Elle s'était promis d'attendre avant de tout lui révéler, mais elle voulait la réconforter :

     -Nous avons quelque chose qu'ils n'ont pas, dit-elle résolument.

     -Quoi donc ? S'enquit Pénélope, sceptique.

     -La solidarité ! Viens voir.

     Elle se leva et conduisit son amie vers l'une des cascades.

     -Derrière ce mur se trouve une salle secrète. Quand tu es arrivée, les Moires m'ont prévenue et j'ai immédiatement convoqué les femmes les plus influentes avec qui j'ai pu échanger pendant ton absence. Nous nous sommes organisées et nous sommes aux portes d'une guerre. Ton témoignage pourra être très utile pour décider si oui ou non nous la déclenchons. Mais avant de te jeter dans l'arène, sache que tu as le droit de te reposer. Ton voyage de retour a dû être éprouvant, tout comme tes dix années sur Terre. Nous pouvons repousser le conseil à plus tard, si tu le souhaites. Parce-qu'à l'issu de cette discussion, l'avenir du monde pourrait bien changer radicalement.

     -Nous avons déjà trop attendu Perséphone, déclara Pénélope en secouant la tête et en écartant virtuellement de la main la proposition de son amie. Il est temps de faire quelque chose. Présente-les-moi !

     Elle était revigorée par ces nouvelles et elle avait envie d'en découdre !

     -Je savais que tu dirais ça, dit la déesse en souriant. C'est pour ça que j'ai pris les devants ! Une dernière chose avant d'y aller... Je suis vraiment contente de te revoir, tu m'as beaucoup manqué !

     -Moi aussi, je suis ravie de te retrouver !

     Et à nouveau, elles s'enlacèrent, mais en riant cette fois.