Le Tartare

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     Elle savoure la sensation de ses talons qui claquent la pierre froide. Elle se délecte du son porté au loin par Echo. Elle espère qu'il va l'entendre arriver de loin. Qu'il va sentir son parfum. Qu'il redoute le moment où elle se tiendra face à lui.

     Dans la barque qui la menait jusqu'ici, déjà, tandis que les flammes du Phlégéthon lui caressaient langoureusement le corps entier pour la sonder, son cœur bouillonnait d'allégresse et d'impatience à l'idée du sort qu'elle lui réservait. Maintenant qu'elle était sur la terre ferme, elle avait du mal à modérer son pas.

     Le haut portail menaçant, seule trouée dans la gigantesque muraille de feu, s'ouvrit en grinçant. Il n'y a personne pour graisser le gong du Tartare.

     Elle passa d'abord devant Tantale, le plus célèbre prisonnier. Plongé dans une eau qu'il ne pouvait pas boire, alors que la soif le dévorait et assis sous les branches d'un arbre dont il ne pouvait manger les fruits alors qu'il était affamé, il pleurait.

     « Pauvre Tantale » se dit-elle avec un sourire ironique, « tu ne devrais pas pleurer, tu vas avoir encore plus soif ! »

     Son propre cynisme la faisait rire. Elle était tellement heureuse ! Jamais elle n'avait atteint un tel état jubilatoire.

     Non moins célèbre que Tantale, Sisyphe montait et descendait sa colline en même temps que son énorme rocher. Elle avait envie de lui crier « plus vite ! plus vite ! » en battant des mains. Mais elle s'abstint. Après tout, n'était-ce pas ce cher Zeus qui l'avait envoyé ici ? Le malheureux méritait davantage sa compassion que ses moqueries.

     Elle vit aussi Ixion attaché à sa roue enflammée mais elle ne lui jeta pas un regard. Celui-ci, mieux valait l'oublier. Les Danaïdes quant à elles, remplissaient inlassablement un chaudron percé. Comme elles étaient belles, toutes ces sœurs au visage résigné !

     Partout où se posait le regard, des suppliciés enduraient leur châtiment éternel. La majorité avaient été envoyés là par le même Dieu. Ils pleuraient, hurlaient, forçaient, suaient, saignaient, souffraient... Sans jamais pouvoir s'arrêter.

     Il faisait très chaud et humide. La robe légère et fluide d'Héra commençait à lui coller à la peau. Cela sentait le souffre, la chair brûlée et les déjections. Il n'y avait pas de cages, pas de barreaux, c'était une vaste étendue de roche volcanique, percée de lac de lave ou de lac de poix par endroits. Tout n'était que laideur et puanteur. Chaos.

     Le ciel était noir. Sans soleil, sans étoile. Des bûchers permanents sur lesquels des hommes et des femmes brûlaient vifs permettaient d'éclairer les lieux. Par moment, la foudre surgissait et frappait un prisonnier, illuminant la plaine sombre pour quelques fractions de secondes. Le champ du châtiment replongeait ensuite dans le l'obscurité. Mais les captifs avaient-ils besoin de se voir souffrir pour ressentir leur peine éternelle ?

     A force de s'enfoncer dans les ténèbres, elle arriva sur la place centrale. C'était ici que les punitions étaient attribuées. Zeus se tenait debout sur cette grande estrade de pierre. Elle grimpa quelques marches pour le rejoindre et alluma des torches tout autour de lui. Il était toujours ligoté dans la solide toile d'Arachné et il avait la barbe et les cheveux en bataille. Il n'était plus un Dieu mais un vieil homme que l'on avait tiré du lit en pleine nuit.

     Héra posa d'abord sa main sur son front pendant quelques instants. Immobilisé, il n'avait d'autre choix que de se laisser faire. Il ne se passa rien mais lorsqu'elle la retira, Zeus paraissait encore plus affaibli. Ensuite, à l'aide d'un couteau bien aiguisé, elle trancha ses liens pour le libérer. Elle contempla longtemps ses muscles rabougris et sa virilité atrophiée.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 10, 2020 ⏰

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Une saison en enferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant