Prologue : L'Ombre Souterraine

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Le craquement de la neige atteignait ses oreilles. 

La sensation du froid saisissait ses pieds s'enfonçant dans la couche blanche qui reflétait la lumière éclatante du soleil. Ce soleil si omniprésent, ce soleil à la fois si radieux et si glacial. Les pensées tournaient dans sa tête. Les pensées se contredisaient. 

Le vent le portait. 

Il savait vers où, il ne savait pourquoi. 

Ses pieds le portaient sans qu'il ne les contrôle. Son esprit était perdu dans sa confusion, plongé au cœur d'images toutes plus terribles les unes que les autres. Alors qu'il marchait, cherchant à fuir ce soleil et ce froid massacrant, ces images lui revenaient. 

Il voyait les hautes herbes des plaines verdoyantes, il voyait les maisons, il voyait les habitants heureux, le sourire de leur visage laissant soudainement place à l'horreur. Il revoyait le sang, les flammes, la destruction. Une vague inhumaine déferlant, avalant la vie, avançant vers son but unique. 

Il l'avait vu, il avait suivit son courant et s'était retrouvé au même endroit. Après tout, il en avait fait partie. Pourquoi en faisait-il parti ? Il se souvint de l'origine de cette vague de mort et de désolation comme s'il en avait été l'instigateur mais, étrangement, en y repensant, cela lui semblait irréel.

Ses pas lourds et épuisés foulèrent désormais le roc, dur, impitoyable, indéformable. 

Il lui rappela ce même roc poli, lorsque la vague meurtrière inonda la ville. 

Etait-ce vraiment une vague ? Où était-ce une masse ? 

Son aura métallique et son bruit féroce et guerrier lui en faisait à présent douter. Tout en se perdant dans ses pensées, ses pas le perdaient dans ce lieu sinistre. Ses pas le conduisaient vers un lieu dont il ignorait tout. Il lui semblait qu'il ne contrôlait plus rien, ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. Seule l'étoile le guidait ; seules les promesses et injonctions de la Lune résonnait en lui. Les paroles réconfortantes d'un désir et d'une volonté dont il ne pouvait se soustraire, dont il ne pouvait plus se soustraire. 

Il doutait. 

Qu'était cette masse noire ? 

Il n'y avait pas fait attention.

Il n'avait vu que son but : l'Etoile brillante, la lumière divine au milieu du chaos de sang, de roc et de métal. L'Etoile brillante, la plénitude luisant au milieu d'un massacre. 

Il l'avait arraché au péril de sa vie, l'avait sauvé de la destruction, de la tempête qui souillait tout, l'avait emporté selon ses plans. 

Ses plans ? Les plans de qui ? Quelles étaient-ils ? 

Il entendait encore ce cri strident, ce cri aigüe de douleur, ce cri mêlant désespoir, amertume et résignation. Ce cri provenant d'un être autrefois resplendissant et invincible ; désormais détruit par l'éclat incommensurable de cette étoile inéluctable, cette étoile azur, cette étoile qu'il avait tant convoitée dans ses rêves. Le colosse sombre, terreur de la nuit, ne l'avait pas embêté. La masse l'avait emporté dans le sang et la désolation. Son armure, symbole d'un temps révolu, ne lui avait été d'aucun secours. 

Tous furent anéantis, aucun ne put s'interposer. Il ne restait rien de la ville. Il ne restait que ce bijou maudit. Il ne subsistait que l'odeur terrible du souffre et du métal. La plaine verdoyante était morte. Les habitants avaient fui, pour les plus chanceux. Ils avaient fui le fléau, la sentence, la vengeance.

Il avait tout fui. 

Il les avait tous fuis. 

Protégeant l'étoile, il s'était enfoncé dans les ténèbres. Ses dernières l'appelaient. 

Un souffle lugubre lui susurrait de le suivre, loin, loin de tout, dans les entrailles du monde ; là où les pires fléaux se cachent ; là où les plus merveilleux des joyaux dorment. Son corps lui hurlait de n'en croire aucun mot. Tout son être savait la supercherie. Mais lui, ce qu'il savait par-dessous tout, c'est qu'il ne pouvait refuser cet appel. 

Il entendait l'écho de ses pas rapides. Il entendait son corps trembler. Il entendait son cœur paniquer. 

Mais au plus profond des ténèbres, dans l'obscurité la plus oppressante d'un lieu désormais abandonné, il se savait accompagné. Il avait passé tous les obstacles, résolu toutes les énigmes pour se retrouver là, à marcher dans le noir, à écouter le souffle glacial lui promettre la postérité éternelle. 

Il se rappelait chaque mot. 

Il se rappelait de ce moment qui à jamais avait scellé son destin, qui à jamais avait scellé le destin de son énonciateur. Ils résonnaient encore dans son esprit comme un écho lointain, alors que ses pas le dirigeaient toujours vers sa providence :

-« Lorsque le Roi est défait face au Soleil, l'élu rejoins la Lune et reprend sa quête. »

Le Gardien de Denescor lui avait promis, l'avait choisi, l'avait envoyé sur ses pas prendre sa relève et assurer sa quête. Il était son dernier lieutenant, le dernier fidèle à croire encore. 

Il se stoppa. 

Il prit le temps d'analyser où il était. Il ne savait où il était. 

Dans le noir le plus complet, seul la chaleur quittant son corps lui rappelait qu'il existait encore. Seul le faible éclat de l'objet qu'il tenait contre son cœur lui rappelait qu'il existait encore. 

Il s'assit. 

Il attendit. 

Il allait bien venir. 

Celui qui lui avait promis la providence, celui qui lui avait demandé de récupérer son étoile perdue, celui qui ne se manifestait qu'à la lueur de la Lune. 

Celui qu'il avait surnommé le Seigneur des Nuages...

Dans les souterrains profonds, asphyxiants et chauds, il commençait à oublier. Il oubliait pourquoi il avait fait tout ça. Il oubliait à quoi ressemblaient le ciel et les couleurs. Il oubliait le souvenir des sons. Il oubliait la réalité. Il ne savait plus la différencier. Il ne voyait plus le temps avancer, il ne ressentait plus son existence s'écouler.

Il ne lui restait bientôt que cette image en tête, comme une construction folle et irréelle, celle d'une ombre qui l'épiait, celle d'une ombre terrible et cauchemardesque qui lorgnait sur son butin. Une ombre si opaque qu'il pouvait la voir à travers les ténèbres. 

Allait-il subir le même sort que son illustre maître ? 

Allait-il lui aussi être trahi ? 

Il se sentait laissé en pâture à cette immondice qui lui susurrait des mots si atroces qu'il ne pouvait plus en dormir. Il n'osait la regarder de peur qu'elle ne dévore son âme et l'entraîne dans sa tanière faîte de ténèbres et de cauchemars. Sa voix à la fois presque inaudible et pourtant si grave semblait remonter depuis le tréfonds des abîmes, des abîmes qu'ils ne voyaient plus, des abîmes dont il pensait avoir touché le fond.

Mais il demeurait sous terre des fléaux que nul ne voudrait revoir surgir, des fléaux si obscurs que les esprits les gardaient encore inconsciemment en mémoire.

 Il était malheureusement tombé sur l'un d'eux. Il allait malheureusement être dévoré par l'un d'eux, lentement, dans une patiente aussi méticuleuse que sournoise, aussi maléfique que terrible. 

Cette ombre n'était obsédée que part une chose, un nom, qu'elle répétait inlassablement avec une haine et une cruauté aussi intense que les ténèbres qu'elle faisait surgir autour d'elle.

Son aura de cauchemars l'oppressait, le faisant lentement et inéluctablement glisser dans le néant, comme l'enserrant entredeux grandes et hideuses mains d'un noir profond. 

Ce monstre l'avait attrapé, il ne pouvait plus s'en soustraire, il ne pouvait plus l'éviter. 

Seule la sensation du collier du Gardien de Denescor, serré contre sa peau meurtri et contre son cœur qui savait sa fin venue, le sauvait, temporairement, de l'Ombre Souterraine...

Flèche d'Argent - l'Elfe Errant du RhûnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant