-Tu me manques...
-Tu me manques aussi Julie, mais on se reverra bientôt, je te le promets.
-Pourquoi tu reviens pas ? demande-t-elle d'une voix triste.
Je décolle le téléphone de mon oreille et soupire.
-J'ai mes raisons, je dis d'un ton neutre.
-J'espère que tu reviendras vite.
-Julie... Est-ce que ça te dérangerait de... vivre avec moi ? Je veux dire, sans papa.
Silence.
-Comment ça ?
-Hum... On en reparlera. Profite de ta fin d'année et te prends pas la tête.
-Facile à dire... marmonne-t-elle.
-Je t'embrasse.
Elle raccroche, et je mets mon téléphone dans ma poche.
-Pourquoi tu ne lui dis pas clairement ? me demande Nicolas, assis sur son lit.
-C'est plus compliqué que ça... Je ne veux pas lui donner une mauvaise image de notre père. Je ne veux pas l'inquiéter.
-C'est en lui cachant des choses que tu l'inquiètes, dit-il en me tirant à lui.
Je m'assois également sur son lit. Je suis heureux qu'il est fini par sortir de sa grotte. On a beaucoup parlé. Il y a aura toujours quelque chose de tendu entre nous, mais nos discussions sont déjà plus fluides et naturelles.
-T'y arrives avec ton boulot ?
-C'est un fast food, j'ai plus de chances de me payer un appart en trouvant de l'argent par terre qu'en bossant là-bas.
-Ne vois pas que le négatif, Liam.
-Tu as raison. Mais j'ai envie de me barrer le plus vite possible.
-Tu veux que je t'aide financièrement ?
Je le fixe.
-Ne dis pas n'importe quoi.
-Je suis sérieux.
-Moi aussi, je dis en me levant. Je sais me débrouiller, je n'ai pas besoin de ton aide.
-Ne le prends pas mal... Arrête de te fermer aux gens Liam. Même si ça paraît impossible, tu peux faire confiance a quelques personnes. Tu peux me faire confiance.
Il se lève à son tour et me caresse la joue.
-Je sais plus. Je suis perdu.
-Ça va bien se passer...
Il me regarde intensément.
-Qu'est-ce que tu fais ? C'est toi qui m'a largué.
-Tout ce que je vois, c'est que tu as besoin de moi.
Il approche son visage du mien et m'embrasse une fois, deux fois. Je lutte pour ne pas l'embrasser en retour.
Il recule légèrement en remarquant que je ne réagis pas.-Désolé... je marmonne.
Je sors de sa chambre et choisis d'aller prendre l'air.
La ville est chaude, active. On sent le printemps. Ce soleil m'avait manqué.
Je savoure les rayons qui frappe mon visage. Je suis rassuré de ne pas avoir perdu le bonheur que je ressens dans les petites choses. Ça prouve qu'il reste un peu de moi dans ce corps dénué d'émotion.
Cependant, je n'ai rien de spécial à faire. Je n'ai aucune connaissance avec qui traîner. Quant à mon père, je ne sais pas quoi en penser. Il ne mérite même pas que j'y réfléchisse, mais il reste mon géniteur, et même si j'essaie de toutes mes forces, je n'arriverai jamais à le détester. Je me dirai toujours que c'est à cause de la mort de maman qu'il a changé. La vérité ? C'est qu'il n'a pas changé. Il a toujours été comme ça. Seulement, quand il y avait notre mère, il ne faisait juste pas attention à nous. Julie a eu la chance qu'il finisse par lui prêter attention comme à une vraie enfant, et non un punching-ball.
Mon anniversaire est dans une semaine. J'atteindrai enfin la majorité. Mais vu les circonstances, mon anniversaire risque d'être plus morne qu'il ne l'a jamais été. Je sens que je vais le fêter seul, une bière à la main, en me lamentant sur mon sort. Peut-être Mathieu aura-t-il préparé quelque chose ? Ça m'étonnerait, je ne suis même pas sûr qu'il connaisse seulement la date de mon anniversaire.
Je continue de marcher dans la ville et m'enfonce dans des petites rues de pierre. Il y a quelques boutiques isolés et peu de piétons. Je connais cet endroit. Il m'apaise. Ma mère m'y emmenait souvent quand j'étais enfant. Elle aussi appréciait être ici. Elle disait que c'était le meilleur endroit de la ville car on n'y voyait personne. Elle a toujours voulu partir d'ici. La ville, les gens la dégoûtaient. « Ils ne savourent pas leur bonheur » disait-elle. Je pense que mon analyse sur le bonheur des gens vient en parti d'elle. Quelques mois avant qu'elle entre à l'hôpital, mon père avait trouvé une maison à la campagne. Elle était grande et mignonne, l'idéal de ma mère. Je ne l'ai jamais vu aussi heureuse. Seulement, les événements ont fait que ç'a été impossible. Elle est entrée à l'hôpital, et mon père a perdu son boulot. Tout le monde était aux bords des nerfs. Au final, les médecins n'ont pas réussi à sauver ma mère, et on en a tous beaucoup souffert, mais je crois que c'était pire pour mon père. C'est là qu'il a commencé à sombrer. On ne pouvait même plus payer le loyer de la maison qu'on occupait, alors on a emménagé dans un petit immeuble étroit et pourri. On y vit encore. C'est aussi à ce moment là qu'il a commencé à me battre, et que j'ai commencé à changer. Mes deux parents ont eu un grand impact sur la personne que je suis aujourd'hui. Celui de ma mère se trouve au plus profond de moi, dans mon analyse du monde et des gens. Celui de mon père, en revanche, reflète l'extérieur de ma personne, celle qui est froide et déconnecté des autres. Je me demande tout le temps comment Julie fait pour garder le sourire, pour rester elle-même sans être influencée.
Je m'assois sur un banc placé sous un arbre. Seuls quelques rayons de soleil arrivent à passer à travers le feuillage.
Je pose mes coudes sur mes genoux et place ma tête dans mes mains.
Le bonheur est une notion qui m'échappe. Il est tellement vaste et paraît toujours inaccessible. Pourtant, tous les gens autour de moi à cet instant le connaisse. C'est là qu'est le problème de l'humain. Et je suis fier du recul que je prends sur les choses. Seulement, même avec le recul nécessaire, puis-je considérer que je suis heureux ? Que le bonheur est là, à mes côtés, à chaque instant ?
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Sous son emprise
Teen FictionLiam est un adolescent solitaire lassé de tout. Sa seule mission : rester auprès de sa sœur pour s'assurer que son père ne la batte pas comme lui-même se fait battre. Seulement, la vie de Liam basculera lors de sa rencontre avec un mystérieux ami...