Chapitre Dix-neuf: Sentiment ou souvenir, lequel choisir?

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  Mon grand père est habillé simplement. Une chemise et un jean. Son visage est légèrement sale et un de ses yeux est injecté de sang. Puis.. Ses bras... Son cou... Les parties de son corps non couvertes par des vêtements sont parsemées de marques rouges.

  Il me regarde d'un air neutre. Ni attristé, ni dangereux, ni heureux juste... Neutre. 

  Je le regarde d'un air agressif. Je devrais être heureuse, ou apeurée, ou surprise mais je suis juste... En colère.

  Il s'appuie sur une table en bois couverte d'outils étranges à quelques mètres de moi et la tapote nerveusement avec ses doigts comme il avait l'habitude de faire. Il passe sa main non occupée sur son visage et soupire longuement. Puis il me fixe et son expression faciale tangue entre la joie, la nervosité et l'ennui.

Mon grand père a toujours été quelqu'un de très émotionnel.

  Il se racle la gorge et hésite à parler. Je fronce les sourcils, si je reste c'est parce que j'ai envie qu'il parle, qu'il parle assez et que j'ai enfin une excuse pour lui enfoncer ce vase que je tiens dans le crâne.

  Tant pis il faudra le provoquer.

-Raconte moi. Je lui ordonne. Tu n'es pas mort, alors pourquoi faire semblant? Tu voulais qu'on souffre c'est ça?!

  Les larmes montent malgré moi. Stupide, stupide, je suis stupide. Je respire lentement pour me calmer et me concentre sur lui du mieux que je peux. Il est stupide, pas moi.

  Il tousse dans son coude puis prend lentement un tabouret de sous la table et s'assoit dessus. Il me fixe. Son œil injecté de sang me trouble. Ses yeux reflètent de la fatigue mais aussi autre chose que je n'arrive pas à déceler... Un mélange de haine et de passion, de souffrance et d'espoir. 
  Après avoir fait durer le suspense pendant un petit moment, il se décide à parler.

-Je ne voulais pas me faire passer pour mort. J'étais obligé.

  Je ne m'y attendais pas. Je ne comprends pas. Je ne le crois pas. J'ouvre la bouche comme pour dire quelque chose mais rien ne sort d'entre mes lèvres. 

  Il sourit légèrement et regarde autour de lui rapidement avant de poursuivre.

-Ils m'y ont obligé. C'était le seul moyen pour moi de rester en vie et...

  Je fronce les sourcils, le poussant à poursuivre.

-Et... Le seul moyen de vous revoir un jour, toi et ta famille.

  Je ne comprends pas.

-Je ne comprends pas.

  Les mots sont sortis tout seuls de ma bouche.

  Il se gratte la tête, inspire fortement et se racle la gorge. Il commence à me frustrer avec tous ces tics.

-Quand... Quand ta grand mère est mort je ne savais pas quoi faire. Alors j'ai décidé... Voilà, j'ai décidé de faire une potion pour la ressusciter et j'ai réussi. On a voulu me tuer pour m'en empêcher, je ne sais pas qui. Puis on m'a dit que si je l'utilisais pour eux je resterais en v...

-Menteur!! Je sais que tu mens!! Dis moi la vérité!!! 

  Je hurle tellement fort que ma voix se casse légèrement. Tant pis, je m'approche vivement de lui avec le vase et le suspend au dessus de sa tête. Il me regarde comme si de rien n'était. Il m'énerve. Il m'énerve!!!

  Puis son expression faciale change d'un coup et je crois, pendant une seconde, voir celle d'un fantôme que j'ai croisé dans mes hallucinations. Il passe de la passivité à l'alerte et se lève si vite que j'ai le temps de rien faire. Il tangue légèrement mais parvient à me serrer les poignets.
  Je baisse le vase sans trop réfléchir et il s'approche de moi.

-Pars. Me chuchote-t-il. Fuis saint-Bille avec ceux à qui tu tiens. Fuis, le plus vite possible, partez et ne revenez jamais, c'est trop dangereux. Ne me cherchez pas, je suis mort d'accord? Parle à personne de cette discussion!

  Quoi? Je ne peux pas, il est en vie, je ne peux pas garder ça pour moi. 

-Non! Non je me fiche du danger depuis que je le vis tous les jours à cause de toi!

Je ne peux pas garder tout ça pour moi, encore moins sans comprendre, c'est trop dur.

-Ne le nie pas c'est de ta faute! J'ai vu tes carnets, c'est minable, tu es minable!

 Ça me ronge à l'intérieur. 

-Tu as tué des gens, tu as tué mamy, tout ça pour tes expériences!

Je t'en supplie, papy, quoi qu'il se passe, explique moi!

-Et tu oses prétendre que tu souffres de ça!

Aide moi, je me sens mal...

-À cause de toi j'ai blessé des gens, j'ai vu des choses affreuses!

Comme quand j'étais petite et que tu me consolais.

- Tu m'as trahi!

Pourquoi est ce que les choses changent?

-Je te déteste!!!

Je veux juste comprendre...

  Il recule et secoue la tête. Il tangue, hésite, va vers un endroit, un autre, me regarde. Que faire? Lui envoyer le vase à la tête? Je le hais pour être là, devant moi et me parler mais je ne peux pas sortir de ma tête les bons souvenirs que j'ai avec lui. Je l'ai toujours adoré et ça m'empêche d'agir. Ma colère retourne en moi, laissant une empreinte de vague tristesse sur son passage.

  Il arrête de bouger et se place devant moi en me fixant.

-Tu sais Léa, il y a des choses dans sa tête que l'on ne contrôle pas.

  Il frotte ses mains comme si il cherchait à en enlever quelque chose. Je ne comprends pas tout de suite. 
  Puis je regarde mes poignets en vitesse et lâche le vase qui vient s'éclater sur le sol en des milliers de morceaux. Mes poignets... On dirait qu'il y a quelque chose dessus... Et mes bras aussi... Et mon cou, mon visage, mes yeux tout, tout est flou, tout tangue, je laisse échapper un cri avant de tomber par terre.

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