Chapitre 1: Se foutant du vent du large

239 9 16
                                    

Je me laissais tomber dans le vent. Je fermais les yeux un instant. Le vent formait un tourbillon autour de mon corps. Je me laissais savourer.

Je déployais mes ailes finalement en ouvrant les yeux alors que le décompte signalait que j'arrivais à la hauteur requise. Je vis mon escadrille se stabiliser également. Il était dix-neuf heures, le soleil n'allait pas tarder à se coucher sur Semerande.

C'était la dernière formation de la journée. Mon escadron était composé de six groupes. J'étais à la tête de quatre soldats surentrainés sélectionnés parmi le meilleur de l'école militaire pour entrer sous mon commandement. De vraies machines de guerre.

Un navire-commerçant venait de franchir le cercle extérieur de la Garde et c'était notre charge de l'intercepter pour lui demander de décliner ses identifiants. L'entrée et la sortie de Semerande étaient de plus en plus régulées depuis ces deux dernières décennies et j'avais vu mon poste de guerrier passer progressivement à celui de douanier. Je n'avais rien contre, d'autant que le gouverneur nous payait les cours de langues étrangères.

J'écoutais mon subalterne s'exprimer dans un nelopan impeccable à l'intention du centre de pilotage de l'aérostat. Les langues n'étaient pas un problème pour les Hanges, j'en avais presque été jaloux un temps, mais je m'étais vite aperçu qu'il leur manquait nettement quelque chose lorsque les premières situations un peu plus critiques s'étaient présentées. L'absence de formules de politesse en djovran leur rendait la tâche étrangement ardue. Je m'étais amusé au début de voir leurs tentatives désespérées de régler des conflits qu'ils avaient eux-mêmes déclenchés par la rudesse qu'ils n'avaient pas conscience d'avoir. J'avais maintenant le poste le plus haut sur le terrain et j'avais éduqué mes hommes aux pourparlers corrects et à l'empathie, il était tout bonnement hors de question que j'accepte moins que l'excellence. Et cela avait fonctionné, j'avais dû former tout l'escadron face aux résultats que cela avait générés.

J'avais appris à prendre parti de ma différence au sein de la Garde aérienne de Semerande. Mon espèce était la plus rependue dans le pays, mais ils entraient rarement en contact avec les villes « civilisées ». J'avais la charge de l'est de la ville, mes yeux pouvaient se passer des lunettes filtrantes de l'armée pour regarder vers le soleil du matin et mes supérieurs avaient trouvé l'anecdote assez amusante pour me donner un poste en lien avec cette unique différence que j'avais avec mes collègues.

Le lourd cargo put passer après avoir reçu son numéro d'amarrage. La régulation stipulait qu'il serait fouillé à son arrivée, ce n'était plus de notre ressort. Nous survolions maintenant mon ancien orphelinat. Sa longue forme n'avait pas changé depuis ces cent dernières années. Le toit était déjà glissant quand j'y résidais, une barre noire et brillante qui coupait la ville comme un rayon désignant l'est. Petit, je pensais que c'était la flèche de la boussole que représentait Semerande. En grandissant, j'avais appris que les boussoles pointaient le nord. L'orphelinat Tante Guite continuait malgré tout à m'orienter, je volais désormais au-dessus, comme accroché à mon aiguille.

Semerande flottait au-dessus du lac Elebon. En cette soirée dégagée, il prenait de magnifiques teintes au loin. L'ombre immense de la cité volante s'étalait de tout son long à l'est. Il n'y avait qu'un mince liseré bleu entre la ville et son ombre de l'endroit où je me tenais.

Tel le cadran d'une immense horloge, les douze maisons métalliques des Nettoyeurs de Semerande rythmaient nos six escadrilles. Ces anciennes tours d'atterrissage avaient été reconverties en logement et si dans un premier temps les familles nobles se les arrachaient pour leurs vues spectaculaires, l'isolation qu'elles représentaient du reste de la ville en avait rapidement fait des lieux maudits. Après plusieurs chutes, qui à mon humble avis relevaient plus de questions d'héritage que de fantômes, la population huppée de la ville avait déserté ces demeures, leur laissant leur charme désuet. Elles siégeaient maintenant, accrochées au cercle extérieur de la plateforme cyclopéenne, reliées à la ville par de longues passerelles pavées qui, le temps s'écoulant, s'étaient peu à peu réurbanisées. Les chercheurs et les scientifiques en quête de tranquillité, hors du centre, s'y étaient installés, construisant de bric et de broc d'étranges bicoques aux angles intrigants se dégageant sur le fond bleu du lac au-dessus duquel elles semblaient suspendues.

SurplombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant