Surplombe

Chapitre 12 : La moelle de mes souvenirs

Les jours suivants virent une petite routine se créer. Dalmas reprenait des forces, Jack et Anaclet semblaient très absorbés par la création d'un nouveau bras mécanique compatible avec la morphologie de l'astronome. Il avait du mal à rester au lit et profitait allègrement de la présence attentive de Ray à ses côtés pour se promener dans la maison, ayant la certitude que son nouveau garde du corps attitré prendrait soin de lui quoiqu'il advienne.

Sissy et Ari avaient pris en main l'organisation de la maison. Ils prenaient un plaisir évident à jouer aux diviseurs du travail. La grande rousse passait le plus clair de son temps à occuper l'esprit de tout le monde avec de nouvelles tâches à réaliser. Le plus urgent avait littéralement été terminé en une journée et depuis elle rivalisait d'ingéniosité pour faire réaliser toute sorte de tâches sans grand intérêt aux autres résidents de la demeure.

Ari s'occupait de la cuisine. Il avait un talent indubitable pour cela et personne ne songea même à prendre sa place. Le rythme des journées se stabilisa rapidement et tout le monde en fut ravi. Le lieu semblait si vivant.

Anaclet se rendait vraiment compte maintenant en rentrant chez lui que les corsaires avaient été discrets jusque-là. L'affaire avait dû occuper tout leur temps et leur énergie. Ils ne semblaient pas regretter la fin pourtant particulièrement brutale de celle-ci. Dalmas refusait de lui expliquer le fond de l'histoire, il aurait bien insisté, mais Ray lui avait chuchoté un soir qu'il valait mieux ne pas savoir parfois. Tout reposait sur la confiance qu'ils avaient l'un envers l'autre. Tout reposait maintenant sur la parole des corsaires : le travail avait été payé, il était terminé.

Lola et Dom semblaient les plus touchées par l'histoire et il n'était pas rare que les bruits pourtant communs d'une maison accrochée au bout d'une ville flottant dans le ciel les fassent sursauter. Lola, qui avait pourtant un talent certain pour cacher ses émotions, laissait passer des signes d'inquiétude qui contrariaient de plus en plus Dalmas. Il en fit part à ses amants un soir, entre deux câlins. Le trio n'avait pas encore réitéré l'expérience de leur première matinée ensemble et apprenait un peu plus tranquillement à se connaitre durant de longues soirées passées entre le jardin intérieur et la chambre.

« — Dom ne sort plus et elle a installé son fauteuil face à l'entrée, avait-il attaqué alors que les doigts de Ray se promenaient dans son dos.

— Dalmas, tu nous as assuré que toute cette histoire était finie ! »

Anaclet était installé sur la table basse portant une loupe oculaire, entièrement penché sur le mécanisme du petit doigt. Il n'avait pas bougé d'un centimètre. Ray s'était tourné vers lui, surpris par le ton légèrement agressif qu'il ne lui connaissait pas. Il l'avait entendu se montrer hostile face au gouverneur, mais cette voix-là était plus calme. Comme s'il y avait quelque chose de non-dit que Dalmas s'apprêtait à rompre et qu'il n'était pas disposé à écouter de nouveauté.

L'astronome se braqua légèrement sous les doigts du Haug alors qu'il fermait sa bouche, comme s'il se repentait. Le soldat ne tarda pas à déposer un baiser léger dans son cou, l'entourant de ses bras, le réconfortant du mieux qu'il pouvait. Il avait cette sensation trouble qu'Anaclet essayait de lui faire passer un message. Mais le seul qu'il ait intercepté pour le moment était qu'il ne voulait pas qu'il entende quelque chose. Il se leva alors et sortit de la pièce après avoir posé brièvement sa main sur l'épaule du Nettoyeur. Si ces deux-là avaient besoin de se parler en priver, il suffisait de le demander.

Il descendit la volée de marche le séparant de la salle commune du rez-de-chaussée avant de s'engager dans le second escalier menant au garage. La porte n'était plus fermée, chacun allait et venait, vaquant à ses occupations. En passant, il avait en effet constaté la présence amorphe de Dom sur son fauteuil, pas exactement tourné vers la porte, mais parfaitement disposé pour que rien ne lui échappe. Elle n'avait pas l'air si perdue. Cette demoiselle-là semblait bien cacher son jeu. Il n'avait aucun doute vis-à-vis de cette femme, elle saurait faire face, quelle que soit la chose qui passerait cette porte qu'elle observait avec autant d'attention.