Surplombe

Chapitre 3 : Bourre-pif

J'aurais bien rendu la monnaie de sa pièce au borgne si le beau Nettoyeur ne s'était pas interposé. Facile de deviner qui était qui dans cette situation. Le talent de diplomatie du jeune homme me surprit agréablement. Je laissais mes yeux se promener sur son dos, il m'attirait, c'était indubitable. Un mètre quatre-vingt, la peau mate, les yeux pâles, les cheveux en bataille. Un terrain inconnu pour moi, mais quel terrain !

Je relevais les yeux en entendant un grognement sourd. Je tombais sur un œil noisette qui se voulait agressif. L'amant, à tous les coups. J'avais compris qu'il s'appelait Dalmas. Athlétique, la quarantaine, les cheveux tirés en arrière dans ce qui semblait être une longue tresse, des traits un peu durs, mais un air composé qui tranchait avec la hargne qu'il avait montrée pour m'accueillir.

« — Tu ne vas quand même pas me dire que je dois accepter de te voir courir ouvrir à un homme que je ne connais pas alors que tu es à moitié à poil ! C'est qui ce mastodonte ? Je pensais profiter un peu de ta présence en venant ici et je te retrouve en pleine mission séduction ? Je ne suis pas aveugle Any ! Je sais voir un adversaire quand j'en... »

Le doigt du Nettoyeur trouva le chemin des lèvres du borgne qui se tut enfin en me regardant avec des éclairs pleins les yeux. Mon protecteur se tourna vers moi et me tendit la main en souriant sereinement. Il avait la peau veloutée, le toucher me ravit.

« — Je suis le propriétaire de cette demeure, Anaclet Lomé, murmure-t-il simplement. Veuillez accepter mes plus sincères excuses quant à cet accueil des plus inadaptés.

— Ray Perig, enchanté, répondis-je tout aussi doucement. Je viens d'emménager dans le quartier, je venais faire connaissance, mais je vois que je suis de trop...

— Il n'en est rien, restez donc manger avec nous ! »

Les humains étaient vraiment faciles à cerner. Celui-ci était autoritaire. Malgré la douceur dont il faisait preuve, c'était lui qui décidait et si l'autre tentait de s'imposer, il était garanti que le jeune homme le lui ferait sentir au centuple. Ledit Dalmas continuait à me regarder avec son air désapprobateur. Je voulais vraiment savoir ce qu'il se passait dans cette demeure et si ce gars entrait en collision avec mon plan, il valait mieux que je l'élimine au plus vite.

Je laissais échapper un tout petit peu de mes phéromones dans sa direction pour le calmer. Pas de chance pour moi, le Nettoyeur le repéra immédiatement et planta ses yeux dans les miens. Je ne devais pas faillir, les Hanges ne savaient pas maitriser leurs phéromones et il y avait peu de chance pour qu'un Douze aussi jeune puisse être au courant des spécificités de mon espèce étant donnée l'absence presque totale de mes congénères à Semerande. Son regard me sonda tandis que le borgne se détendait à vue d'œil. Puis un sourire des plus taquins apparu sur ses lèvres.

C'était quitte ou double, soit il avait tout compris, soit il pensait que j'en pinçais pour son amant et il s'imaginait déjà entrer dans un triangle amoureux plein de rebondissements.

« — Dalmas, tu veux bien rejoindre les autres ? »

Le borgne s'en fut, comme mécaniquement. Il me lança un regard interrogateur en sortant du vestibule, plus aucune animosité n'y régnait, au moins mes phéromones faisaient effet. Anaclet posa ses deux mains sur mes joues et me pencha pour que je le regarde dans les yeux. Il n'avait peut-être pas vu tout ce qu'il voulait voir. Pourtant il arborait toujours ce sourire mystérieux.

« — Maintenant, tu me dis pourquoi tu es vraiment venu ici, monsieur le soldat, tes armes sont visibles à des kilomètres. »

Je me souriais à mon tour. Voilà un beau morceau. Il me maintenait solidement, ses pouces adroitement placés pour m'empêcher de tourner la tête sans paraitre suspect. Impossible de mentir à un Nettoyeur, il n'y avait pas de stratagème possible. J'allais devoir tout déballer. Mais cela ne m'inquiétait pas, les Douzes se donnaient corps et âme à la cité dont ils s'occupaient, c'était leur rôle, leurs chaines.