Palmyre me regardait dans les yeux. Elle m'avait convaincu au premier regard et encore aujourd'hui je ne regrettais pas mon choix. La clé de la maison Trois était dans ma main, sa douce mélodie pulsait dans ma paume et je ressentais presque son excitation à l'idée de changer de propriétaire. Elle avait toujours hâte de rencontrer de nouvelles têtes.
Je levais la main en offrant à la jeune femme le premier et dernier sourire de ma part juste pour elle. Ses yeux laissèrent passer une très courte brume qui disparut aussi vite que je l'avais remarqué. Une excellente Nettoyeuse. Après tout, c'était moi qui l'avais formée. Elle avait toutes les qualités requises, tout ce qu'il lui restait à faire était de montrer au quartier Trois qu'elle ne tremblait pas sur ses jambes parce qu'elle avait peur.
Son balancement permanent m'avait bercé pendant ces deux dernières années et je m'étais fait à sa présence troublée. Je laissais la clé tomber dans sa main. Elle tinta une ultime fois contre mes ongles avant de trouver sa nouvelle propriétaire. Je sentis distinctement le changement du rythme de la maison, elle se calait à la respiration de Palmyre, comme si elle avait toujours été ainsi. Les couleurs autour de nous changèrent imperceptiblement. Mais pas pour moi qui avais vécu ici suffisamment longtemps pour en connaitre tous les recoins. En un tout petit instant, cet endroit m'avait échappé des mains. Ce n'était plus chez moi.
Contrairement à ce que j'avais initialement pensé, cette soudaine conscience de ne plus être propriétaire ne me tordit pas le cœur. En tout cas, pas douloureusement. C'était comme un souffle d'air fort qui plaque les cheveux en arrière alors qu'on se penche à l'une des balustrades au bord du vide Elebon. Comme lorsqu'on a l'impression qu'on va s'envoler et fendre le ciel, aussi léger qu'une feuille et aussi puissant qu'un Hange.
Je me retournais, laissant le lieu à celle à qui il revenait et franchis une dernière fois le palier ancien qui avait vu passer tant de Nettoyeurs. La ville s'élevait devant moi. Je n'en avais plus la charge. Ce n'était plus à moi de prendre soin de ces petits bouts de rue.
La traversée de la ville me sembla éthérée. Je n'avais plus besoin de me pencher, de grimper, de sauter, d'attraper, de protéger, de récupérer... J'avais seulement mon sac sur le dos. J'avais mes trésors dedans. J'allais les emmener. Personne ne pouvait m'en empêcher. Ils étaient à moi. Peut-être qu'en partant avec eux j'allais déséquilibrer Semerande ? Peut-être pas. Je n'aurais qu'à faire attention à ce qu'un navire accoste en même temps que je partirais. Personne ne saurait.
Mes trésors, je les avais accumulés pendant mes années de pratique. Personne ne les avait demandés. J'avais fait très attention à faire la part des choses et à toujours rendre des résultats aux contenus convenables en termes de qualité et de quantité. J'étais d'ailleurs certain que je n'étais pas le seul Nettoyeur à m'attribuer certaines trouvailles. Quoique les miennes pouvaient être plus précieuses.
Moi, j'utilise aussi mes capacités, celles que j'ai appris à maitriser tout seul. Mes pouvoirs à moi. Je modifie la structure intime des choses pour les transformer en trésor. Peut-être que je ne suis pas le seul à savoir le faire. Mais personne ne l'a jamais fait devant moi. Alors pour l'instant, mon expérience me dit que c'est ainsi. Mes trésors sont spécieux, je leur ai trouvé des âmes.
Je passais sur le grand pont est lorsque je sentis un coup de vent familier. Mon corps s'éleva soudainement dans les airs et je tentais de ne pas me débattre brutalement au risque de tomber. Deux bras musclés m'entouraient avec une force apaisante. Je me laissais aller enfin, souriant comme si je n'avais pas encore grandi, comme si Guite ne m'avait pas déjà mis dehors, comme si je n'avais jamais rencontré de trésors dans les rues tristes de Semerande, comme si le gouverneur n'avait jamais fait appel à moi pour Nettoyer sa ville.
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Surplombe
FantasyDans un monde qui se résume à une ville flottant au dessus de flots calmes d'un lac immense, qui est le plus libre ? Ce soldat qui flotte dans les cieux à la lisière du soleil ? Cet être étrange qui nettoie la ville d'on ne sait quoi ? Ce corsaire à...