Chapitre 12

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« Les coïncidences sont les pires ennemies de la vérité. » — Gaston Leroux

//PDV EXTÉRIEUR\\

*17 mai 837*

De l'autre côté de Trost, au quartier général du Bataillon d'exploration, une réunion s'y tenait, avec en tête le Major Keith Shadis. En-dehors de la prochaine expédition en octobre, l'enquête en cours sur les meurtres des parents de Nasrin et leurs domestiques était le principal sujet de conversation. Giovanni Medici et Nahuel Sato, les collègues de Siegfried Aguilera ayant réussi miraculeusement à échapper aux tueurs et à l'incendie qui flambait toute la maison, les avaient décrits comme étant de taille moyenne. Les assassins portant des masques sur la tête, il était difficile d'apporter de nouveaux éléments pour l'identification. Et l'amnésie de Nasrin Aguilera n'aidait pas du tout pour l'avancement de l'enquête, au grand désarroi de l'armée.
Aucun des incendiaires (et tueurs de la famille de Nasrin et des domestiques) n'avait été retrouvé, ni le commanditaire. Les proches des victimes affirmaient qu'ils n'avaient aucun ennemi à leur connaissance. Cette piste avait été donc vite écartée, pour revenir sur la piste amoureuse.
Sato et Medici se rappelaient que les tueurs étaient seulement censés emmener Nasrin sans faire d'escarmouche, apparemment parce que l'homme qui les avait embauchés semblait avoir une touche pour elle. C'était l'unique raison de leur présence chez les Aguilera, le jour des homicides. Assassiner tout le monde et mettre le feu à la maison ne faisaient pas partie du projet. Ils avaient sans doute cédé à la colère face aux refus du père, puis paniqué après les meurtres. Ce qui expliquerait pourquoi ils souhaitaient faire disparaître les indices.
Les hauts gradés de l'armée supposaient que ça devait être une connaissance — ou un ami — proche de la famille pour connaître les habitudes de chacun et la maisonnée. Comme aucun de ces mêmes proches ne semblaient manquer à l'appel, le commanditaire et la connaissance en question n'étaient qu'une seule et même personne.
Si cela était le cas, alors l'enquête conjointe des trois corps d'armée s'avérera plus compliquée qu'elle ne l'était au départ...

*
*   *

Après avoir rappelé une dernière fois que l'arrestation des responsables de l'incendie était la priorité numéro une et que chaque piste devait être approfondie jusqu'à l'obtention d'éléments nouveaux, le Major Shadis clôtura enfin le débat. Il était temps de parler de la prochaine expédition, même si, reconnaissons-le, il restait encore cinq mois et que des imprévus pouvaient tout remettre en question.
Il donna des détails sur l'expédition Extra-Muros à venir, mais Erwin l'écouta d'une voix distraite, ne prenant pas de notes. Ses pensées se dirigeaient vers Nasrin. Ça ne faisait que quelques heures à peine qu'il l'avait quittée (Akiko avait emmené la jeune femme à la boutique de vêtements où elle travaillait, pour faire avancer l'enquête), et pourtant il souhaitait tant la revoir. La prendre dans ses bras pour la réconforter, quand cela n'allait pas. Cela le pesait un peu plus chaque minute — chaque petite seconde, infime soit-elle, qu'Erwin passait loin d'elle. Il ne la connaissait pourtant que depuis quelques jours. Sans doute parce qu'un lien s'était créé entre eux dès l'instant où Erwin avait su gagner la confiance de Nasrin avec quelques mots apaisants. Le principal intéressé se surprit même à « sentir » la présence de la jeune femme près de lui.
A la « sentir » se réfugier derrière lui quand elle rencontrait une personne qu'elle ne connaissait pas, à lever son visage angélique vers lui au fil de leurs discussions (son sourire timide lui donnait un petit charme). Les sentiments du soldat semblaient totalement retournés.
Erwin n'arrivait pas à cerner ce qu'il ressentait, ni même à comprendre pourquoi il se retrouvait dans cet état. Lui qui maîtrisait si bien ses émotions d'habitude, le voilà en train de changer émotionnellement ! Jamais il n'avait connu pareil remous en lui — ce besoin important d'être auprès d'elle.
Nasrin...
Pour lui, sa discrétion et sa douceur lui donnaient aussi un charme tout particulier. Un charme qui le touchait profondément, lui donnait envie de la connaître davantage et de se rapprocher d'elle. Toutefois, un problème gênait sa progression (sans compter de l'enquête) : l'amnésie dont souffrait Nasrin. Si on la brusquait trop, il y avait de fortes chances pour la jeune femme aux longs cheveux de blé se renferme et ne veuille plus aider à retrouver les meurtriers de ses parents et des trois domestiques. Elle avait beau prendre sur elle avec le sourire, il n'empêche que ça pouvait très bien arriver. Même les Brigades Spéciales savaient que c'était la dernière chose dont les trois corps d'armée souhaiteraient... même s'il n'y avait que des égocentriques finis au sein des soldats au logo de la licorne.
C'est pour cette raison qu'Erna avait conseillé d'y aller doucement dans les questions et de ne pas forcer, quand on sentait qu'on n'obtiendrait rien d'autre pour le moment. De fait, les militaires n'avaient donc pas d'autre choix que de suivre à la lettre les recommandations de l'infirmière en chef de l'hôpital de Shiganshina, et d'éviter les fameux faux pas qu'elle avait énumérés et expliqués. Tous n'ignoraient pas ce qu'il fallait faire — y compris le Bataillon d'exploration.
Une voix lointaine semblait l'appeler, mais Erwin ne l'entendit pas. Bien que, physiquement, il soit là, son esprit se tenait ailleurs. Près de Nasrin. Sa voix, son rire, le contact de ses mains quand elle tenait son bras, il avait tellement besoin de la savoir en sécurité.
- ... win ! Erwin !
On le secoua à l'épaule. Erwin revint brusquement à la réalité lorsque, d'un coup :
- Oh, Erwin !
Clignant des yeux, le soldat de 22 ans leva les yeux, perdu. Clémens Rosenberg le fixait d'un air inquiet, debout à côté de sa chaise, sa main toujours posée sur l'épaule de son protégé.
- Erwin, tu étais où, là ? Le Major et moi avions remarqué que tu ne prenais pas de notes, et ça nous a alarmés. Est-ce que tout va bien ?
À part eux, tout le monde avait quitté la salle de réunion.
Erwin mit quelques secondes à assimiler dans son cerveau les paroles de son chef d'escouade, un air vague de lisant dans ses yeux
- Oui, ça va. Merci, murmura-t-il, et il se leva pour quitter lui aussi la salle.
Parler de ses sentiments était la dernière chose à laquelle il pensait.
Celui que l'on surnommait par respect « le Colonel Rosenberg » attrapa Erwin au bras, avec une poigne douce mais suffisamment ferme pour l'arrêter net. Erwin ne souhaitait pas confier ce qu'il ressentait, surtout pas à son supérieur (il le réprimanderait pour mêler vie professionnelle et sentiments pour un témoin essentiel à l'enquête, et il aurait bien raison), mais mentir à ce dernier était bien plus compliqué que mentir à ses amis.
- Erwin, si tu as quelque chose à dire, vas-y. Je t'écoute, dit Clémens en le regardant droit dans les yeux. C'est par rapport à Nasrin Aguilera que tu réagis aussi bizarrement depuis quelques temps ? Je comprends que tu veuilles la protéger, mais ne mêle pas le travail et la vie privée. Pas au cours d'une enquête sur des homicides et un incendie involontaire ! Il y aura forcément des retombées et des têtes qui tomberont au moindre faux pas.
Et merde ! Grillé ! soupira Erwin, qui avait pourtant senti à des kilomètres la leçon de morale. Il était bien loin de se douter que son chef d'escouade devinerait aussi rapidement...
Clémens Rosenberg avait toujours été perspicace et savait lire les différentes émotions sur le visage des autres, ainsi que les gestes corporels. Il arrivait à comprendre quand on lui cachait des informations, si on lui mentait, etc. Il sentait le coup fourré à des kilomètres ! C'était pour cette raison que les Brigades Spéciales, le gouvernement et les riches le craignaient autant, évitant de se frotter à lui.
Erwin se retint de lancer un regard au ciel. Même s'il n'était pas un ange guerrier lui-même, contrairement à sa femme et ses enfants, son capitaine décelait le vrai du faux sans problème (il aurait dû faire carrière dans la politique).
- Je ne sais pas comment faire, Clémens ! lâcha-t-il dans un soupir. J'ai conscience de ce qui pourrait arriver si ceux d'en haut découvrent le pot-aux-roses, mais pour une raison que j'ignore, mon instinct me dicte de l'aider à retrouver la mémoire... et ceux qui ont détruit sa famille. C'est comme si je ne contrôlais plus rien.
C'est comme s'il n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il ressentait actuellement.
Clémens n'eut pas besoin d'en connaître plus pour deviner.
- C'est parce que Nasrin vient de perdre ses parents que tu te vois en elle — parce que tu as vécu la même chose des années plus tôt avec ton père. Même si les circonstances de leurs morts ne sont pas les mêmes.

« 𝓢𝓸𝓾𝓿𝒆𝓷𝓲𝓻𝓼 𝓸𝓾𝓫𝓵𝓲𝒆́𝓼 [SNK ~ Erwin x OC] » / TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant