Chapitre 17

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*31 mai 837*

Ça faisait à peine plus d'un jour que le Bataillon d'exploration m'avait cachée dans cette maison éloignée de tout, au sein du Mur Maria, entre le District de Shiganshina au sud et le District de Perse à l'ouest. Suite à la réunion entre quelques hauts-gradés des trois branches de l'armée et du général Zackley, il avait été décidé qu'il serait en effet plus sage de me mettre à l'abri, le temps que le danger s'écarte. J'avais à peine pu dire au revoir à mes collègues, mes amies d'enfance et leurs parents, et aux deux collègues de mon père qui avaient survécu tout comme moi — et dans la nuit du 29 au 30 mai, on m'emmena dans la plus grande discrétion dans une maison isolée.
Même si ce n'était pas du tout le cas, j'avais l'impression d'être exilée pour un crime que je n'avais pas commis. Ça me rendait folle de devoir rester à l'intérieur même de la maison !
Des soldats du Bataillon d'exploration veillaient chacun leur tour, mais je ne sortais que très peu de ma chambre et l'appétit était aux abonnés absent. La peur me retournait l'estomac à un point inimaginable, et mes pensées se tournaient principalement vers Erwin.
Erwin... Où se trouvait-il actuellement ?
Les soldats de l'un des trois corps d'armée avaient-ils réussi à mettre la main sur Loïk Ravenfield ?
Cet assassin s'était-il manifesté de nouveau, depuis l'envoi de ces hommes il y a de cela quelques semaines ? Si oui, s'en était-il pris à des innocents, parmi les civils et les soldats — dans le seul but de me retrouver ?
Ces pensées me nouaient l'estomac, mais ça pouvait très bien être le cas. Et pourtant... Pourtant, Loïk ne devait pas ignorer que les indices laissés par ses hommes de main les mèneraient jusqu'à lui, que toute la population Intra-Muros vivait désormais dans la peur d'être visée à leur tour et l'incertitude, et que tous les corps d'armée le pourchassaient nuit et jour afin de le jeter en prison et de le juger pour quintuple homicides involontaires, triple tentative d'homicides, et incendie criminel. Dans ce cas, il se terrait certainement dans le coin en espérant que l'affaire s'étouffe. Mais, même avec ça, il fallait vraiment être un crétin pour croire que les rumeurs allaient disparaître comme ça du jour au lendemain, tout comme la « fin » de l'enquête. L'assassinat d'un couple aussi gentil et dévoué que formaient mes parents avait choqué beaucoup de monde. C'était ce que les deux employés de maison, en congé le jour de l'incendie, ainsi que les salariés de mon père ayant survécu et ma patronne, peu de temps avant qu'on ne m'envoie dans cette maison paumée au beau milieu de nulle part, me disaient.
Même mes amies d'enfance, qui avaient fini par recevoir l'autorisation pour me rendre visite après toutes ces semaines, avaient confirmé leurs dires. Meadow avait même déclaré : « La mère d'Hilaria et mes parents connaissaient les tiens depuis très longtemps. Ils n'avaient jamais eu de problèmes avec qui que ce soit, ils possédaient un cœur noble et honnête et ils étaient incapables de faire du mal à une mouche, alors ça nous a vraiment choqués quand la nouvelle de leur mort avait circulé à travers Trost. On s'est doutées que Loïk devait avoir un lien avec tout ça, mais on n'a aucune preuve pour confirmer nos soupçons. »
Cela avait le mérite d'être clair et net. Si elles-mêmes pensaient que cet ami pouvait être le responsable, qu'est-ce que cela allait être par la suite ?

☆☆☆

La fin d'après-midi commençait à pointer le bout de son nez quand des bruits d'un cheval au galop se firent entendre de l'extérieur. Je me trouvais cloîtrée dans ma chambre, à lire un livre que Hansi m'avait prêté, lorsque cela parvint à mes oreilles. Laissant ma lecture de côté, je me levai du rocking chair et je jetai un coup d'œil par la fenêtre. Mon cœur rata un battement en reconnaissant le nouveau venu.
Erwin descendit de sa monture et demanda des nouvelles à un soldat de la Garnison qui montait la garde à l'extérieur. Je n'entendis pas leur conversation, mais la vue du membre de l'escouade du capitaine Rosenberg me rassura énormément.
Ne pouvant plus attendre, je me précipitai hors de ma chambre (effrayant le soldat du Bataillon d'exploration qui gardait la porte) pour descendre les escaliers. Erwin venait d'entrer dans la maison, en apportant les dernières nouvelles Intra-Muros et de quoi tenir encore un peu, au niveau de la nourriture. Il ne s'était absolument pas attendu à ce que je déboule de nulle part et lui saute au cou en signe de bienvenue. Heureuse de pouvoir enfin le revoir, le serrer dans mes bras. Ca me faisait mal de l'admettre, mais je m'étais beaucoup habituée à sa présence.
Erwin mit quelques instants à comprendre, avant de reprendre ses esprits et de répondre à mon étreinte. Une de ses mains caressait à l'arrière de ma tête. A mon oreille, il murmura :
- Désolé pour l'attente. L'enquête a connu un nouveau bond, et il fallait vérifier les nouvelles pistes.
J'acquiesçai sans piper un mot. Je ne lui en voulais pas. Après tout, il avait déjà fait beaucoup pour m'aider à la réadaptation à la vie sociale.
Peu de temps après, nous étions réunis dans le salon : deux soldats de la Garnison, deux du Bataillon d'exploration, moi et Erwin. Deux autres soldats n'étant pas avec nous (un du Bataillon, un de la Garnison) surveillait les alentours. Pas de Brigades Spéciales dans le coin. Vu leur réputation de corrompus jusqu'à la moelle, ses membres étaient assignés à garder un œil sur les allées et venues suspectes — sauf s'ils passaient du temps à picoler comme des trous, et à mater les pauvres filles. Le peu que j'avais entendu sur les Brigades Spéciales ne me donnait pas envie de les fréquenter.
Erwin raconta que quelques soldats avaient réussi par mettre la main sur trois des ravisseurs ayant débarqué chez moi le jour de l'incendie. Confrontés aux témoignages des deux collègues (survivants) de mon père, des témoins présents lorsqu'ils s'étaient enfuis de la scène du crime, et aux quelques souvenirs m'étant revenus, ils avaient fini par craquer. Les suspects avaient tout raconté du plan machiavélique de Loïk Ravenfield.
Il s'avérait que le plan initial était de faire peur à mes parents, de me faire comprendre que Ravenfield m'aimait, et m'emmener à lui pour me forcer à l'aimer en retour. Les hommes de main engagés avaient appris que certains employés seraient absents de chez moi le jour de leur visite. Mais ils n'avaient en revanche pas prévu que les trois autres employés seraient là aussi, à faire leur travail habituel (sans songer un seul instant que ce serait leur dernière journée, en se levant le matin même), ni que les associés de papa viendraient pour parler d'une affaire importante ; et alors, tout avait dérapé.
Nous connaissions tous la suite.
Rien que de penser que, aveuglé par son amour à sens unique et sa folie, Loïk avait sacrifié cinq personnes innocentes pour me conquérir, ça me rendait malade !
Comment avait-il pu faire un acte aussi barbare ? Aussi cruel ? Arrivait-il à dormir la nuit et à se regarder dans le miroir, avec plusieurs morts sur la conscience ?
Mes parents lui faisaient confiance, ils l'avaient laissé entrer chez nous. Ils autorisaient à me laisser le fréquenter en temps qu'ami. Mon père l'avait même aidé plusieurs fois. Personne n'aurait douté que ce gentil Loïk Ravenfield tournerait aussi mal. Je comprenais pourquoi Meadow, Hilaria et leurs parents avaient tout de suite pensé à lui, après le crime.
J'en avais assez entendu comme ça.
Profitant que les soldats de la Garnison et du Bataillon d'exploration échangent, outrés par la nouvelle, je courus à l'étage pour me réfugier dans ma chambre. Et au moment où je m'effondrai en larmes sur mon lit, de nouveaux souvenirs revinrent en mémoire...

« 𝓢𝓸𝓾𝓿𝒆𝓷𝓲𝓻𝓼 𝓸𝓾𝓫𝓵𝓲𝒆́𝓼 [SNK ~ Erwin x OC] » / TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant