*2 mai 837*
La fatigue se faisait ressentir lorsqu'en fin de journée, notre escouade était retournée au District de Shiganshina pour nous rendre à l'hôpital (où travaillait Erna, l'épouse de Clémens, en tant qu'infirmière), pour nous renseigner sur l'état de santé de la fille des victimes. Selon Lothar Kershaw, cela prendrait un certain temps avant de mettre la main sur le dossier concernant la famille Aguilera. Il n'y aurait sans doute rien sur sa fille, mais il avait promis de vérifier et de nous envoyer des informations s'il en trouvait. Il prenait son travail très à cœur et c'était rare de voir ça chez les Brigades Spéciales.
Nous nous étions assis sur l'un des bancs du long couloir aux murs blancs, une fois arrivés à l'étage correspondant, à l'exception de Clémens, qui avait toqué à la porte de la chambre en question avant d'y entrer, un air grave sur le visage. C'était rare qu'une affaire l'affecte autant, et pourtant on en avait connu quelques-unes similaires. Le silence reprenait ses droits, interrompu seulement par les pas de quelques docteurs et infirmiers qui traversaient les couloirs.
Blottie contre Mike, Akiko avait posé sa tête sur son épaule, le regard perdu sur le mur d'en face. Mike l'avait prise à l'épaule ; son visage restait fermé. Je ne disais rien non plus, trop retourné par ce qu'on venait d'apprendre.
Ce qui sembla être des heures était insupportable. Notre impatience grimpait en flèche, et ça n'allait pas en s'arrangeant. Je sentais la colère enfler dans mes veines et les questions se bousculer dans mon esprit. Au bout d'un moment, n'en pouvant plus de rester assis, je me relevai d'un bond et m'exclamai :
- Mais enfin, qu'est-ce qu'ils fabriquent dans cette chambre ? Ca fait des heures qu'il est à l'intérieur ! Il aurait dû être sorti depuis un moment !
- Calme-toi, Erwin, répondit Akiko avec compassion. Le médecin n'avait sans doute pas terminé ses examens quand le capitaine est entré dans la chambre. Si ça se trouve, il lui explique tous les types de blessures que la pauvre jeune femme a subies au cours de l'incendie, et dans ce cas, ils ne sont pas près de terminer. Ce n'est pas expédié comme ça, un compte-rendu médical !
- Je sais bien. Mais l'heure tourne, et on n'a rien pour commencer l'enquête, à part la présence de ces hommes cagoulés. Hormis ce détail, leur identité reste un mystère.
- Nous nous posons tous la question à ce sujet, et nos nerfs sont mis à rude épreuve à cause de ça. Allez, viens te rasseoir, Erwin, tu vas nous filer un mal de crâne, à force de tourner en rond comme un lion en cage.
Bon sang, mais inutile d'entrer dans le Bataillon d'exploration : c'est politicienne qu'Akiko aurait dû faire, vu son talent d'oratrice convaincante. Elle se serait très bien débrouillée dans ce domaine !
Malgré la colère et les interrogations, je finis quand même à écouter le conseil de mon amie, et je revins m'asseoir à sa gauche, en passant une main dans les cheveux. Pourquoi régissais-je de cette manière ? Qu'est-ce qui était en train de se passer pour me mettre dans un tel état ? Pourtant, je maîtrisais parfaitement mes émotions en temps normal, et on me connaissait comme quelqu'un de très méticuleux et planifiant divers plans sur le long terme, grave, organisé et, selon certains, distant et froid. Je n'approchais pas facilement les autres et je faisais en sorte de créer une barrière entre eux et moi. Mais Mike, Akiko et la famille de Clémens étaient les exceptions ; je les considérais sincèrement comme de véritables proches. Je ferais tout pour qu'il ne leur arrive rien, et il en allait de même pour la survie des autres membres du Bataillon !
La fille des Aguilera me revint en mémoire. Nasrin... elle devait se trouver dans un état critique pour que les médecins de l'hôpital la gardent aussi tard. Les blessures causées par l'incendie avaient dû être importantes pour elle, au point de causer son évanouissement. Je me mis soudain à espérer qu'elle n'avait rien de grave.
A l'instar d'Akiko, Mike devait lui aussi sentir que quelque chose n'allait pas, et me demandait ce qui me tracassait à ce point. Comment révéler à mes plus proches amis que l'état de santé de la troisième survivante à l'incendie m'inquiétait énormément ?
- Tu te poses trop de questions, déclara Akiko. Attendons de voir les résultats, si ça se trouve, elle n'a rien de cassé.
- Mais une poutre lui est tombée dessus alors qu'elle tentait de fuir ! fis-je remarquer en m'énervant presque. Ce qui pourrait se passer, c'est qu'elle perde l'usage de ses jambes et ne puisse plus jamais marcher !
Je réalisai soudain que j'avais perdu mon sang-froid. Et à côté, mes amis me fixèrent avec étonnement.
- Pardon, je me suis laissé emporter. Mais c'est tellement incompréhensible, cette affaire, je ne comprends pas comment ça a pu dégénérer à ce point-là. Il doit pourtant exister une explication logique !
- Erwin, tu te prends la tête pour rien, intervint Mike, en se penchant légèrement en avant pour me regarder. Tout ce dont on peut faire pour le moment, c'est attendre de savoir si la fille des victimes s'en sort, et après on cherchera les réponses.
- AH ! Merci ! s'exclama Akiko. Tu vois ? Mike pense la même chose que moi. Ralentis un peu, mon gars.
C'était sa façon de dire : « Ok, je peux comprendre que toute cette histoire te travaille, mais ce n'est pas en allant plus vite que la musique que tu obtiendras ce que tu veux. Est-ce que tu connais beaucoup de personnes qui devinent le mobile du crime rien qu'en regardant simplement l'endroit où ça s'est déroulé ? »
- Tu as intérêt à te reprendre, ou je te forcerai à écouter les discours sans fin de Hansi.
J'éclatai de rire rien qu'en imaginant la scène. Mais Akiko était capable de mettre sa menace à exécution, et je savais qu'elle ne se gênerait pas...
- On va peut-être éviter d'en arriver là.
- C'est la réponse la plus sage que tu aies dite jusqu'à présent, mon gars.
Depuis le début de la discussion, l'atmosphère avait subitement changé, et je me sentais beaucoup mieux maintenant que mes craintes étaient sorties et que Mike et Akiko m'avaient rassuré. Je n'avais pas eu conscience que le simple fait de m'inquiéter pour la vie de notre témoin me torturait émotionnellement. Il n'y avait qu'à espérer que tout ira bien pour elle.
Seulement, ce détail n'échappa pas à Akiko. Elle ne mit pas longtemps à me taquiner sur le sujet.
- Toi, tu as une pensée pour elle, ou je ne m'y connais pas, souligna-t-elle.
- Je ne vois pas pourquoi tu dis ça, rétorquai-je sèchement, elle n'était plus sur la scène de crime à notre arrivée.
- Non, c'est vrai, mais depuis tout à l'heure tu nous baratines avec la victime. Tu lui portes une attention particulière. Si ce n'en est pas une, qu'est-ce que c'est ?
- Il y a aussi l'histoire de cette pauvre jeune femme, s'éleva une autre voix. Tu te sens proche d'elle parce qu'elle vient de perdre ses parents dans un accident... Je me trompe, Erwin ?
Dans l'embrasure de la porte de chambre, Erna, la femme de Clémens, sortit de la pièce où avait été emmenée Nasrin Aguilera, et ferma la porte, en lâchant un long soupir. De grosses cernes noires démontraient sa fatigue, signe qu'elle n'avait pas encore récupéré entièrement de sa dernière grossesse. Dans ses bras, se tenait sa dernière-née — Théa, si ma mémoire était bonne.
Étant donné qu'Erna était la plus compétente de ses infirmières, l'hôpital avait sans doute fait appel à elle pour les aider à soigner la victime dès son entrée là-bas. Prenant ainsi le risque d'interrompre son congé maternité.
Aussitôt, Akiko se proposa de la décharger en prenant la petite Théa dans ses bras. Erna accepta avec plaisir. Ma collègue et amie prit délicatement le bébé aux cheveux blonds dans ses bras, et la serra doucement dans ses bras. Théa ne broncha pas. Akiko avait le don de faire passer un excellent contact avec les enfants ; ceux-ci le lui rendaient bien en retour. (Les enfants du Major Shadis, et les aînés de Clémens et Erna, en étaient un parfait exemple.) Je soutenais Erna par l'épaule, inquiet pour elle.
- Tu n'as pas l'air d'être bien reposée.
- S'occuper de trois enfants lors du congé maternité n'est pas de tout repos, dit Erna en laissant apparaître un sourire fatigué. Déjà qu'avec les deux grands, il faut les surveiller en permanence, mais un nourrisson, c'est autre chose. Avec les couches, le biberon et la sieste, je ne sais plus où j'habite !
On rit rien qu'en pensant à la scène. Il n'empêche que ça ne devait pas être évident tous les jours.
- Viktor et Julia sont restés auprès de leur père, j'ai dû les emmener avec moi à l'hôpital quand mon supérieur est venu demander mon aide, expliqua Erna. Je ne tenais pas les laisser seuls à la maison.
Ah. Je voyais où elle voulait en venir. Avec Amadeus Vassago, un noble du Mur Sina obsédé par le clan des Métamorphomages et leurs maîtrises, Erna n'était pas tranquille et restait constamment sur ses gardes. Elle ne faisait aucunement confiance à cet homme, qu'elle disait mauvais. C'est la raison pour laquelle elle gardait ses enfants auprès d'elle et prévenait sans arrêt Clémens de faire attention. On ne pouvait pas le lui reprocher. Son clan était tellement persécuté depuis la création des Murs, ça ne l'étonnerait pas que des gens malintentionnés débarquent à Shiganshina sans crier gare.
C'est au tour de Mike d'interroger l'infirmière sur l'état de santé de la blessée :
- Est-ce qu'elle va s'en sortir ?
- Pour le moment, je ne peux rien vous affirmer, mais elle a eu beaucoup de chance de s'en être sortie vivante. Si les deux associés de son père n'avaient pas prévenu les premiers soldats arrivés sur place, aucun doute qu'elle y serait passée.
- Est-ce que ses blessures sont graves ? demandai-je.
- J'ai pu soigner une grande partie d'entre elles. La plupart était suffisamment grave pour apporter des soins rapides, et quelques-unes ne sont que superficielles. Notre jeune blessée est à présent hors de danger !
C'est vrai ! J'oubliais toujours qu'Erna maîtrisait la guérison ! C'est une Métamorphomage (et l'Originel de son clan depuis l'âge de 8 ans, à la mort de sa mère), mais je la connaissais depuis tellement longtemps que je ne prêtais même plus attention à ce détail. Erna continua en nous questionnant cette fois :
- Mais dites-moi, j'ai entendu qu'elle avait survécu à l'incendie qui avait ravagé sa maison, et que ce n'était pas un accident domestique. A-t-on retrouvé les personnes impliquées ?
L'inquiétude se lisait sur son visage. Elle avait donc été mise au courant. Des rumeurs avaient dû parvenir jusqu'à elle, et Clémens lui avait raconté ce qui s'était déroulé. Pas étonnant qu'Erna se pose un tas d'interrogations à ce sujet, pensai-je. Sans doute craignait-elle que le danger se rapprocherait de Shiganshina et qu'il y aurait encore des victimes...
Nous lui expliquâmes ce que nous avions vu, et les seuls détails à notre possession. Ça confirmait ce que son conjoint avait déjà rapporté sur l'affaire.
- D'accord, je comprends mieux, commenta Erna lorsque notre récit fut terminé. Depuis quelques temps déjà, je sentais qu'un incident terrible allait se produire, avec du feu et des personnes qui essayaient de s'enfuir. Je ne voyais que ça dans mes visions. Vous savez ce qui se passe quand tous les sens des Métamorphomage sont en alerte, les anges guerriers se trompent très rarement pour ce genre... d'évènement. J'en avais fait part à Clémens il y a quelques jours. Il savait que je ne plaisantais jamais à ce sujet, et qu'à ce moment mon instinct parlait, alors il a tenu compte de mon inquiétude.
- Vous saviez dans quel District précisément ça se passerait ? demanda Mike.
- Non, je ressentais seulement la chaleur du feu, et les cris de terreur. Ça m'avait terrifiée. Je savais aussi que ça se déroulerait dans les environs au cours des jours suivants, donc je n'étais pas vraiment tranquille. C'est la raison pour laquelle je m'étais confiée à Clémens. Maintenant que ma vision s'est réalisée au District de Trost, la peur ne va que s'amplifier davantage à travers la population. Je me sens impuissante face à cela !
- Ne t'inquiète pas, on finira par retrouver les coupables, la rassurai-je pour la calmer. Ils commettront bien des impairs à un moment donné. C'est ce qui les fera tomber pour de bon.
- Ils payeront pour ce qu'ils ont fait, ajouta Akiko. S'en prendre à des gens pour ensuite les brûler vifs dans leur propre maison, c'est tout bonnement inacceptable !
Akiko en profita pour rendre Théa à sa mère. La petite gazouillait et ne cessait de demander sa présence. Par instinct maternel, Erna serra sa deuxième fille dans ses bras, comme pour la protéger du danger qui planait au-dessus de nos têtes. Elle avait peur pour la sécurité de ses enfants, et ferait tout pour les protéger de la cruauté qui pouvait régner en ce bas-monde. En tant que mère et Métamorphomage Originel, l'instinct prenait le dessus et il valait mieux ne pas attaquer impunément ses enfants. On ne réveille pas la maman lionne qui protège sa portée, répétait Clémens assez souvent, sur le ton de la rigolade.
Oui, il valait mieux, en effet. Erna était prête à tout pour protéger ce qu'il y avait de plus cher à ses yeux, et à la moindre attaque elle ripostait farouchement. En aucun cas je ne m'amuserais à jouer avec ma vie !*pendant ce temps, quelque part à travers les Murs*
- Bon sang, les gars ! Est-ce que vous réalisez seulement dans quelle merde vous nous avez entraînés ? Vous étiez censés ne pas faire de mal à la famille de Nasrin et à leurs domestiques ! Tout ce que je souhaitais, c'était qu'elle sache que je l'aimais, et qu'elle m'aime en retour après que vous ayez fait peur à ses parents... Qu'est-ce que vous avez foutu ?! Nasrin se retrouve à présent entre la vie et la mort, et on a des morts sur la conscience, par votre faute !
Dans une cachette éloignée des Districts Intra-Muros, située dans une forêt, les trois hommes responsables des meurtres involontaires de Faye et Siegfried Aguilera et de leurs domestiques, et de l'hospitalisation de Nasrin Aguilera, essuyaient un orage de la part d'un jeune homme qui avait requis leurs services. Les dernières nouvelles l'avaient mis hors de lui, parce que ce n'était pas le plan d'origine. Ce qui était arrivé à la famille de Nasrin était une offense.
- Le plan était pourtant simple ! hurla-t-il, hors de lui, et vous n'avez pas été fichus de respecter des instructions faciles à comprendre ! La population Intra-Muros vit dans la peur désormais, et craint au point de fermer les portes à clé, sans compter l'armée qui est sur l'enquête pour remonter jusqu'à nous, à cause de votre incompétence ! Et en plus, plusieurs témoins leur ont rapporté votre présence près de la maison des Aguilera !
- Vous voulez qu'on s'occupe de faire taire les témoins ? voulut savoir l'un des meurtriers.
- Non ! Les trois corps d'armée sont sur leurs gardes, ils doivent surveiller les entrées et les sorties de chaque District et des villages éparpillés à travers les Murs Maria, Rose et Sina. On attirerait l'attention en un rien de temps. Pour le moment, nous n'allons rien faire. Il n'y a plus qu'à espérer qu'ils ne remontent pas jusqu'à nous._________________________________________________________________________
Chapitre 3 en ligne, mes petits chats 😘#Alixassëa l'Elfique
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« 𝓢𝓸𝓾𝓿𝒆𝓷𝓲𝓻𝓼 𝓸𝓾𝓫𝓵𝓲𝒆́𝓼 [SNK ~ Erwin x OC] » / TERMINÉ
Fanfic« Mai 837. Au cours d'une journée comme les autres, le Bataillon d'exploration est sollicité par des soldats des Brigades Spéciales. Ces derniers venaient d'intervenir sur un incendie suspect. Bilan : cinq morts, deux blessés légers, et une jeune fe...