Chapitre 6 : Lectrice

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Gabriella ne sut exactement combien de temps elle passa à lire le chef d'œuvre médicinal, mais elle sut qu'elle sortît de son activité suite au toussotement du roi. A l'entente de ce son, elle se redressa vivement le livre entre les mains, honteuse d'avoir délaissé son travail pour un passe-temps qui ne lui était d'ailleurs pas réservé.

- Veuillez m'excuser je... enfin je rangeais la bibliothèque et j'ai trouvé...

- Tu sais lire ? demanda le roi au lieu de la laisser finir.

Il ne semblait pas en colère, et le soulagement que ressenti Gabriella à ce moment lui fit oublier qu'il venait de la tutoyer. Elle hocha vivement la tête, le livre toujours ouvert dans ses mains. Airy s'avança vers elle et pencha son regard sur l'ouvrage. Il vit qu'elle avait largement dépassé le premier quart de cette quantité astronomique de pages et ne put s'empêcher d'être impressionné par la passion de sa servante. Cette dernière regarda dehors pour échapper à son souverain, et elle constata avec effroi qu'il faisait déjà très sombre dans le ciel. Cela faisait des heures qu'elle était contre cette bibliothèque et elle ne s'en était même pas rendue compte !

- De quoi parle le livre ? demanda le dirigeant tout en retirant sa veste et en avançant encore plus près de la jeune femme.

- C'est un livre sur les plantes médicinales. C'est très intéressant, Sire.

- Je peux ?

Airy tendit les mains et la sujette lui donna immédiatement l'ouvrage.

- Je ne savais même pas que j'avais cela ici, dit-il en le tournant dans tous les sens sans pour autant perdre la page où s'était arrêtée Gabriella. Tu peux le prendre.

- Pardon ?

La jeune femme n'avait su retenir son étonnement. Elle plaça honteusement ses mains sur sa bouche, regrettant déjà de s'être adressée ainsi à son roi. Mais ce dernier semblait ne pas y prêter la moindre attention.

- Tu peux le prendre. Tu as l'air d'apprécier cet ouvrage, et je ne compte pas le lire de ci-tôt. Je crois même que je ne le lirais jamais, en toute honnêteté.

- Sire, c'est-à-dire que... Enfin, je ne peux pas !

- Pourquoi donc ?

- C'est un livre très précieux qui a une grande valeur et il n'en existe que peu d'exemplaires dans le monde, il n'est pas convenable qu'il arrive dans mes effets personnels.

La Majesté haussa les épaules :

- Je suis sûr que tu en prendras grand soin. Tu n'auras qu'à le remettre à sa place une fois que tu l'auras fini.

- C'est que...

- Mais si tu le prends, tache de ne pas oublier de dormir, je ne voudrais pas qu'il pénalise ton travail jusque-là très satisfaisant, dit-il sans lui laisser le temps de répondre.

Il s'avança vers sa salle d'eau.

- Il est tard maintenant, tu peux laisser la bibliothèque telle qu'elle est, ça ne gênera pas mon sommeil. Tu reprendras ton rangement demain.

Et le roi s'enferma dans ses thermes personnels. Au-delà du fait que le tutoiement semblait être officiellement instaurer entre eux – enfin du côté du roi plus exactement – Gabriella était abasourdie. Il lui prêtait le livre ? Ce chef d'œuvre médical ? Elle serra le grimoire contre sa petite poitrine. Si elle s'était attendue à cela ! En la trouvant ainsi, elle aurait trouvé légitime qu'il lui reproche son manque de sérieux, voire qu'il ne la punît. Mais il n'avait fait que lui poser des questions et lui prêter le livre. Elle le traiterait bien évidemment comme la prunelle de ses yeux, mais il était insensé pour le roi de prêter aussi aveuglément un objet d'une telle valeur à une simple domestique ! Avait-il ne serait-ce qu'une idée du prix de cet objet ?

La femme à la chevelure rousse quitta les appartements royaux, le livre largement protégé contre ses bras. Ce jour-là, elle n'avait pas fait aussi bien son travail qu'à l'accoutumée. Mais le roi était quelqu'un de tolérant, et apparemment de généreux, il ne semblait pas lui en vouloir. Elle veillerait personnellement à ne pas retomber dans ses travers, mais elle ne put empêcher un petit sourire de s'esquisser sur ses lèvres. En arrivant dans sa modeste chambre de bonne qu'elle partageait avec deux autres domestiques, elle prit bien soin de ranger le livre à l'abri de regard, là où il ne s'abîmerait pas. Elle aurait très bien pu continuer sa lecture mais elle savait qu'elle n'aurait pas su s'arrêter et n'aurait pas fermé l'œil de la nuit. Or, comme le lui avait dit le roi Airy, elle était censée se reposer pour rattraper ses erreurs du jour le lendemain.

La nuit qu'elle passa fut paisible. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi bien, autant à sa place. Malgré que sa chambre bien petite et mal entretenue ne fût pas ce à quoi elle avait été habituée enfant, c'était un espace calme où elle se sentait libre, bien plus que ces dernières années. Elle avait beaucoup de chance. Depuis qu'elle était arrivée au château de Nekavland, et encore plus depuis qu'elle était sous le service du roi, elle était épanouie : on la traitait bien, elle appréciait son travail, et elle était entourée de personnes aimables et altruistes. Le sentiment de plénitude au fond d'elle était une sensation délectable qu'elle regrettait de ne pas avoir connue depuis si longtemps. Elle en venait même, enfin presque, à ne plus regretter son passé. C'était peu, mais c'était agréable, et surtout, c'était suffisant.

La Servante du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant