- Gabriella, je peux te parler un instant ? demanda le roi en passant sa tête dans l'encolure de la porte.
Les autres servants dans la bibliothèque s'inclinèrent platement devant le roi avant de s'éclipser pour laisse à leur majesté l'intimité qu'il demandait implicitement. Puis, posant le livre qu'elle référençait sur l'étagère en face d'elle, Gabriella s'avança en direction du souverain. Qu'avait-il à lui dire ? Avait-elle fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Ou Le seigneur Milon allait-il mal ? Il était pourtant en très bon état ce matin.
- Tu vas bien ? demanda-t-il d'emblée.
- Oui, très bien. Pourquoi cette question ? répondit-elle à son tour face à son air inquiet au visage.
- J'ai entendu dire que beaucoup de personnes venaient te voir à la bibliothèque pour des conseils médicinaux et que tu passais ta pause déjeuner à faire des exercices de rééducation à Milon.
- En effet. Est-ce dérangeant ?
Elle ne comprenait pas réellement ou voulait en venir le roi, son travail à la bibliothèque était toujours impeccable alors en quoi ses activités le dérangeaient ? Ou peut-être que le roi Airy voulait que ses médecins aient une qualification ? Il était vrai qu'elle aurait dû lui demander la permission mais ce n'était tout de même pas elle qui avait demandé aux habitants du sujets de venir la voir elle plutôt que le savant référent en cas de problèmes de santé.
- Cela fait beaucoup pour une seule personne tu ne crois pas ?
- Je suis toujours aussi sérieuse dans mon travail ! répliqua-t-elle un peu trop abruptement.
Le roi rit.
- Je n'ai pas dit le contraire Gabriella. Quand je disais que ça faisait beaucoup je ne parlais pas de la qualité de ton travail mais de ta santé à toi. C'est bien beau de vouloir aider les autres à aller mieux mais tu dois aussi penser à toi.
- Je vais bien, je te l'ai dit.
Étonnement, depuis que tout le monde l'avait vu tutoyer le roi lors de l'accident qui avait blessé son plus grand ami, Gabriella ne se sentait plus aussi mal de continuer de le faire. Les autres sujets du château n'avaient rien dit de particulier, il l'avait même plutôt enviée.
- Tu te lèves deux heures plus tôt pour changer le pansement de Milon et lui faire des exercices de rééducation, tu ne prends même pas le temps de manger avant d'aller à la bibliothèque, ensuite ta pause déjeuner tu la prends également auprès de Milon, tu retournes à la bibliothèque et alors que ta journée est censée se terminer tu retournes le voir. Et là-dedans je n'ai pas compté les nombreuses fois où tu te fais interrompre par mes sujets qui viennent te consulter, lista-t-il.
- J'ai l'habitude de me lever tôt, je le faisais bien quand j'étais ta servante. Et puis j'aime beaucoup aider le seigneur Milon et les autres, je ne leur donne que des conseils mais ils se réfèrent toujours au médecin lorsque c'est grave, c'est juste un avis extérieur.
La domestique n'avait pas envie d'arrêter ses consultations, cela lui plaisait de mettre en pratique sa théorie après tant d'années. Airy ricana à nouveau.
- Gabriella, ne te méprends pas, je ne critique pas non plus ta légitimité à donner des conseils médicaux. Je me disais juste qu'il serait peut-être préférable pour toi de ne pas trop en faire à la fois et je pourrais peut-être te trouver un remplaçant.
- Mais j'aide les gens !
Si elle s'était entendue parler quelques mois plus tôt, elle n'y aurait jamais cru. Elle, tenir tête à ce point au souverain de Nekavland ? Elle aurait dû s'incliner et accepter tout ce qu'il lui disait sans broncher. Au lieu de ça, elle contestait son opinion.
Son interlocuteur nia de la tête.
- Gabriella, je parle de te trouver un remplaçant à la bibliothèque.
La jeune femme ouvrit la bouche puis la referma sans rien dire.
- Pardon ? dit-elle.
- Je ne te demande pas de ne être doctoresse, tu es excellente là-dedans. Et je sais que tu adores cela, qui plus est. Tu adores les livres aussi, évidemment, mais je me disais que tu pourrais toujours lire en dehors de tes consultations.
- Mais... Enfin je ne peux pas.
- Pourquoi cela ?
- Les femmes ne travaillent pas à Nekavland. D'autant plus que j'ai appris la médecine par la dissection, ce n'est pas autorisé ici !
Le souverain sourit.
- Écoute, je me fiche bien que certaines personnes pensent qu'ouvrir un corps est un acte de sorcellerie ou je ne sais quoi. Je ne suis personne pour t'interdire de faire avancer la médecine.
- Tu es le roi tout de même, grommela-t-elle.
Il acquiesça, un sourire aux lèvres.
- Oui, c'est vrai, mais tu vois où je veux en venir. Et pour le fait que tu sois une femme, je pense que tu as largement fais tes preuves. Peut-être est-il temps de changer un peu les choses.
Ce qui était le plus idiot était que Gabriella ne pouvait s'empêcher de se demander ce que les gens penseraient en voyant une doctoresse aux cheveux roux dans le château. Elle adorait cela, la médecine, aider les gens. Mais donner des conseils ci et là était bien différent d'en faire son activité principale !
- Écoute, tu as décidé de te placer en priorité en me demandant de ne plus être ma servante. La seule chose que je te demande, c'est de le faire encore une fois en acceptant d'être doctoresse. Tu es faite pour cela, Gabriella ! Je l'ai vu dès notre rencontre quand tu as lu ce livre médicinal dans ma bibliothèque. Tu me l'as confirmé quand tu es tombé malade, et tu viens de sauver la vie de mon meilleur ami ! Tu n'as pas hésité un seul instant avant de t'opposer à toute une foule pour le soigner, c'est une immense qualité pour un médecin.
La domestique regarda son souverain dans les yeux. Airy avait toujours été si bienveillant depuis qu'elle le connaissait. Et désormais il lui offrait le métier de ses rêves sur un plateau d'argent ? Certes, il avait aussi fait des erreurs, mais malgré tout, elle le remerciait d'être un si bon roi, et plus généralement, une si bonne personne.
- Je t'ai rencontré quand tu étais encore si discrète et respectueuse. Et j'adorais cette facette de toi mais t'avoir vu évoluer ainsi, à me dire honnêtement ce que tu ressentais malgré mon statut, à t'affirmer face au médecin de la cour...
Il laissa sa phrase en suspens.
- Je veux que tu trouves ta voix et pratiquer la médecine en fait partie.
La jeune femme baissa la tête. Si elle s'était attendue à cela ce matin ! Elle avait déjà eu le droit à une chambre plus luxueuse du fait de ses prouesses médicales auprès du Seigneur Milon, et désormais elle était nommée médecin du château ? C'était inimaginable !
Mais Airy avait raison : c'était sa vocation. Qu'elle fût une femme, une servante, une rousse, tout cela n'avait aucune importance : elle était douée et elle aimait cela. Elle n'avait pas le droit de refuser.
- D'accord, j'accepte.
VOUS LISEZ
La Servante du Roi
Historical FictionL'ancienne servante du roi de Nekavland est partie, et Gabriella doit dorénavant la remplacer. Mais il se pourrait bien que le roi Airy ait besoin de plus qu'une cheminée allumée à son réveil, comme par exemple d'une présence féminine dans son lit. ...