Chapitre 18 - Elle

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Allongée dans mon lit, je profite du silence de l'appartement. Mon regard est fixé sur la lumière venant du salon, passant par ma porte entrebâillée. Jetant un œil sur mon réveil, je constate qu'il est tôt. Je baille, encore fatiguée. Il faut dire que la nuit a été plutôt courte. Rentrées avec Rose à trois heures du matin, j'ai dormi à peine une heure avant que Noham ne me réveille. Il avait fait un cauchemar qui l'a beaucoup secoué. Il a eu un mal fou à se rendormir. Doucement, je me tourne pour faire face à ce petit bonhomme, couché près de moi. Il ne s'est assoupi qu'à six heures passés, ses doigts crispés sur mon teeshirt. Il ne m'a pas lâché, se tenant à moi comme si j'étais sa bouée de sauvetage. Evidemment, je sais que je le suis.

Je suis son point d'ancrage, son repère.

Mon cœur se serre quand j'imagine ce qu'il pourrait comprendre. Il est petit et jeune, mais il intègre parfois si vite les choses que cela m'effraie. Je vis dans la crainte constante qu'il découvre mon passé. Mais surtout, le sien. Je suis effrayée à l'idée qu'il devine qui je suis réellement. J'ai peur qu'il me rejette, me repousse. Je suis bien consciente qu'il faudra un jour lui dire la vérité. Quand il sera plus vieux, en âge d'appréhender la réalité. Mon ventre se tord, mes yeux me piquent. Je passe une main délicate dans ses cheveux blonds, le cœur au bord des lèvres.

Comment peut-on supporter l'abandon, le mensonge ? Voudra-t-il encore de moi dans sa vie après ça ? M'acceptera-t-il ? Comprendra-t-il mes secrets, nos secrets ? Ceux de notre passé, de notre famille et les incertitudes du futur ?

Je l'espère, sincèrement. Je ne peux pas imaginer ma vie sans lui. Sans son sourire, son rire. Sans ses yeux pétillants, qui brillent de fierté quand il me regarde. Il est ma vie, mon oxygène. Je me demande si les parents ressentent les mêmes sentiments que moi ? Ce besoin vital d'être avec leur enfant, de voir le bonheur éclairer son visage. Est-ce que leur cœur se serre comme le mien quand des larmes apparaissent aux coins des yeux de leur progéniture ? Est-ce que leur souffle se coupe quand ils voient leur corps secoué de sanglots ? Est-ce qu'ils sont capables de tuer pour le protéger ? J'imagine que oui, ou en tout cas pour les parents qui aiment leur enfant.

Ce n'est probablement pas le cas des nôtres.

Non ça c'est sûr, mais nous avons trouvé de l'amour ailleurs. Nous nous sommes offertes ce qu'ils ne pouvaient nous donner. A-t-on grandi différemment, plus difficilement ? C'est une certitude. Nos bosses ainsi que nos cicatrices sont là pour nous le rappeler. Certaines sont visibles, d'autres profondément ancrées en nous. Pourtant, cela ne nous a pas empêché de rester droites sur nos jambes, faisant front l'une près de l'autre. Même si elle n'est plus à mes côtés, cela reste elle et moi contre le monde.

Nous deux, contre une tripotés d'aristocrates hypocrites, malveillants.

Nous deux, contre des siècles de convenances, de règles.

Nous deux, contre un héritage maudit.

Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Tu avais tellement raison grand-mère.

Dans son sommeil, Noham bouge près de moi. Je décide de me lever pour ne pas le réveiller. Doucement, j'embrasse son front avant de sortir de la pièce sur la pointe des pieds. En passant devant la porte de la chambre de Rose, je passe la tête par l'embrasure. Je remarque que la blonde dort toujours. Depuis que nous vivons ici, nous avons pris l'habitude de toujours laisser nos portes ouvertes. Quand Noham était tout petit, c'était surtout pour l'entendre. Au contraire de nombreux enfants, il pleurait souvent silencieusement, sans hurlement. Comme s'il voulait passer inaperçu, se faire tout petit. Comme s'il comprenait la tension qui habitait cet appartement. J'étais toujours angoissée de le savoir pleurer sans l'entendre. Alors nous dormions toutes avec les portes ouvertes. Avec le temps, nous avons gardé cette habitude.

Embrase-moi - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant